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LAFARGUE. — origine de l’idée du bien et du juste

distribution, finit par ne signifier que loi, de ce que δίκη, lot, sort, usage, équité, justice, devient le nom d’une des Heures, conseillère écoutée de Zeus ; de ce que Déméter, surnommée Erinnys par les pâtres arcadiens, se transfigure en déesse législatrice, après avoir été primitivement la déesse de la terre féconde et des moissons, il semblerait découler que l’idée de justice distributive n’est entrée dans la tête humaine qu’à la suite du partage des terres. L’idée de justice, qui, dans le cours des siècles, a subi tant d’évolutions et de révolutions, daterait donc de cette période si critique de l’histoire humaine. Hobbes avait déjà entrevu cette origine de la justice, quand il disait « qu’en l’état de nature, il n’y a point d’injustice, en quoi qu’un homme fasse contre quelque autre[1] », car, commente Locke, « là où il n’y a point de propriété, il n’y a point d’injustice (where there is no property, there is no injustice), est une proposition aussi certaine que n’importe quelle démonstration d’Euclide : l’idée de propriété étant un droit à une chose, et l’idée à laquelle correspond le mot injustice étant l’invasion ou la violation de ce droit[2] ».

Paul Lafargue.

  1. Hobbes, loc. cit. Remarque ajoutée au § 10 du chap. I, Liv. I.
  2. Locke, Essay on the human understanding, Book, IV, chap.  III § 18.