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et ses rapports avec la philosophie, l’ouvrage se partage en deux parties correspondant aux deux problèmes qu’il s’agit de résoudre. Dans la première partie l’auteur cherche un idéal moral, dans la seconde une vérité religieuse, un aspect général du monde, une réalité d’ordre supérieur qui puisse servir de soutien à l’idéal proposé dans la première partie.

La méthode de M. Royce est simple et ingénieuse à la fois. Prise en elle-même et considérée abstraitement, elle n’est pas absolument neuve, mais l’auteur a su s’en servir de manière à la faire sienne. Dans son article sur le dernier livre de M. Guyau, M. Boirac se demandait, dans cette Revue, s’il n’était pas possible de trouver dans le doute même le fondement de la morale, comme Descartes a cru trouver dans le doute le fondement métaphysique[1] » : M. Royce a trouvé ou cru trouver dans le doute le fondement de la morale et de la religion. C’est par une analyse du doute, de sa nature et de ses conditions, de ce qu’il signifie et ce qu’il implique qu’il découvre et nous propose un idéal moral et une vérité religieuse.

Dès son premier chapitre, nous sommes avertis de l’importance que l’auteur donne à un certain mode de scepticisme. « Le doute sur les questions religieuses est pour celui qui cherche la vérité, non seulement un droit, mais un devoir ; et, comme nous le verrons dans le courant de cette étude, le doute a dans la philosophie une place curieuse et très importante. La vérité philosophique, comme telle, nous vient d’abord sous la forme du doute, et nous n’arriverons jamais à elle, si nous n’avons, plus ou moins longtemps, désespéré de la trouver. Ainsi, d’abord, le désespoir d’un doute général, et ensuite la découverte que ce doute renferme dans son sein la vérité que nous avons juré de découvrir par tous les moyens possibles, voilà le type de l’expérience philosophique. »

Ainsi prévenus, nous abordons l’étude de la morale. M. Royce se montre sévère pour les écrivains qui aiment à remplir un demi-volume avec une description du « sentiment moral » ou un panégyrique du principe moral de l’homme », ou, particulièrement de nos jours, en parlant longuement des sauvages et de « l’évolution du sens moral », et à qui il ne reste plus de place pour arriver à la vraie question dont ils ne s’occupent pas. Il leur vient rarement à l’esprit qu’une description des facultés morales » de tel ou tel homme ou une histoire des croyances et des pratiques morales ou immorales qui sont survenues chez les hommes au cours de l’évolution, n’est pas plus une « philosophie de la morale » au sens propre, qu’une description de la fabrication ou des produits d’un pays du monde n’est une véritable explication de la solvabilité ou de l’insolvabilité commerciales. »

M. Royce veut arriver tout de suite à ce qu’il considère comme le point important : Quelle est la nature réelle de la distinction du bien et

  1. Revue philosophique, mars 1885, p. 325.