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ANALYSES.j. royce. The religious aspect of philosophy.

deviendra possible, parce qu’une pensée finie, mise en relation avec son propre objet peut ou peut ne pas être vue par cette pensée élevée comme réussissant à être adéquate à cet objet » (p. 423). L’existence de cette pensée universelle et de cette âme du monde, qui est la vérité religieuse cherchée, est pour M. Royce une condition nécessaire de l’erreur et par conséquent une conséquence légitime du scepticisme.

« Qu’est-ce donc qu’une erreur ? Une erreur, répondrons-nous, est une pensée incomplète, qu’une pensée plus élevée, qui les renferme, elle et son objet, connaît comme ayant échoué dans son but plus ou moins conscient, et qui est pleinement réalisée dans cette pensée supérieure. Et, sans une telle pensée supérieure qui comprend tout, une assertion ne peut avoir d’objet au dehors, et ne peut être une erreur. »

Ici, je l’avoue, je ne puis être encore de l’avis de M. Royce, et, tout en admirant l’ingéniosité de l’auteur, je crains qu’il ne s’en soit servi pour aboutir à une erreur assez grosse. Et même on a quelque honte à invoquer contre une discussion aussi jolie et aussi bien menée, aussi subtile, des arguments simples et terre à terre ; cependant ce n’est pas tout que d’être subtil, et je ne puis m’empêcher de trouver que l’erreur peut se comprendre et se constater sans recourir à l’hypothèse de l’esprit universel qui voit tout et comprend tout. Prenons simplement l’exemple de Jean et de Thomas. Nous supposons les quatre personnages dont dont parle M. Royce, c’est-à-dire Jean, Thomas, l’idée de Jean chez Thomas, et l’idée de Thomas chez Jean. Eh bien, je crois que ce qu’on appelle et ce que l’on peut légitimement appeler erreur consiste précisément dans le désaccord qui existe entre la nature de Thomas, d’un côté, et l’idée que Jean se fait de Thomas, de l’autre. Supposons par exemple que Thomas soit préoccupé un moment et pense à la récolte que donneront ses champs de blés ; supposons que, au même moment Jean s’imagine que Thomas pense à la récolte que lui donneront ses champs de pommes de terre. La production de ces deux phénomènes constitue ce que nous appelons une erreur. Cela est bien simple et pourtant cela me semble exact. L’erreur consiste précisément dans la discordance qui existe entre le Thomas réel et le Thomas idéal. Une fois qu’il s’agit d’êtres réels, de phénomènes réels, le problème ne semble pas très difficile à résoudre.

La seule objection qu’on pourrait faire, et elle serait plus spécieuse que juste, c’est que la discordance n’existe qu’autant qu’elle est perçue par un esprit. Ceci nous conduirait à discuter la théorie de la réalité des rapports entre les phénomènes. Je ne puis la discuter ici longuement[1]. Toutefois je crois pouvoir affirmer : 1o qu’on ne peut affirmer la réalité des phénomènes sans affirmer la réalité des rapports, rapports qui existent non point en dehors des phénomènes, mais dans les phénomènes eux-mêmes dont ils peuvent être séparés par l’abstraction et qui existent

  1. J’ai examiné cette question dans la Critique philosophique, nos de mai et juin 1885.