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mal comprise et mal définie, c’est qu’on. l’a étudiée par une mauvaise méthode : la religion parfaite sans doute est un idéal, mais en fait il y a des hommes religieux, c’est eux qu’il faut observer, c’est eux dont il faut analyser les actes, le caractère, les idées, les sentiments, si l’on veut arriver à déterminer ce qu’est réellement la religion. La religion est une fonction spéciale de l’esprit humain : elle est distincte à la fois de la science, de l’art, de la morale et de la métaphysique, mais elle n’est pas l’expression d’une faculté particulière, elle nous comprend tout entier. Au début de l’évolution individuelle tous les phénomènes de la vie psychique sont confondus dans une unité indiscernable, au terme de l’évolution, on doit rencontrer de nouveau l’unité : elle est réalisée dans la religion complète. Cette religion, où l’amour d’autrui trouvera ses plus solides racines, embrasse tous les actes destinés à établir le rapport normal entre l’homme et Dieu. Son but dernier, c’est la parfaite communion de Dieu et de l’homme, sa forme caractéristique, la prière. Pleinement réalisée la religion n’existe et ne saurait exister que dans une élite. L’intelligence, le sentiment, les pratiques, les œuvres prédominent tour à tour dans les diverses religions : la religion parfaite serait un équilibre complet entre tous ces éléments. La religion se transmet d’âme en âme ; l’histoire le prouve ; mais la manière dont elle se propage échappe à l’analyse ; c’est une contagion plutôt qu’un enseignement. En résumé la religion est distincte à la fois de la science et de la métaphysique. Rien ne saurait entrer dans la science à titre de vérité, sinon ce qui est établi directement par l’observation elle est bornée au phénomène, elle n’atteint ni le commencement, ni la fin, ni le fond de rien. Mais elle est démontrable et sa certitude est universelle. C’est la matière et le point de départ d’une philosophie. Les systèmes et les jugements philosophiques ont pour objet la cause et la fin ; ils ne sauraient se transformer en propositions scientifiques. La philosophie ne se prouve pas, elle s’expose. La philosophie, c’est aussi et c’est surtout la conscience qu’une religion prend d’elle-même. Le dogme est la formule métaphysique du sentiment religieux, elle vaut ce qu’il vaut. Quant à la religion, elle n’est pas un état de l’intelligence, c’est une fonction concrète, où le sentiment, la volonté et la pensée sont également intéressés et ne se séparent point.

Toute doctrine morale, pour M. Secrétan, roule sur le devoir et suppose la liberté. Le résultat que M. Secrétan accepte sans le discuter c’est qu’il y a une obligation. Cette obligation, qu’elle soit conditionnelle ou péremptoire, implique la liberté : peu importe du reste ce qu’est en elle-même cette liberté ; ce qu’il faut c’est que le sujet se juge libre. M. Secrétan donne (p. 78) un excellent résumé de la morale déterministe, et il avoue qu’il faudrait l’adopter, si le déterminisme moral était démontré : il reconnaît, du reste, que ni la conscience que nous en avons, ni l’existence des lois pénales ne sont des preuves du libre arbitre. L’enseignement moral même a encore sa raison d’être dans la conception déterministe, à condition toutefois que l’agent se croie libre au moment