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implique, sous peine de n’être qu’un mot, l’inviolabilité de fait ou le droit de défense : droit et défense sont dès lors inséparables, au même titre que droit et inviolabilité, ou que inviolabilité et loi morale. Quand M. Lévy omet de rappeler ces déductions rigoureuses, ce n’est pas, croyons-nous, qu’il les oublie, mais bien plutôt qu’il s’efforce d’en briser le lien : car il invoquerait sans doute contre l’identification de la défense au droit l’impossibilité de passer de l’inviolabilité formelle de la personne nouménale l’inviolabilité pour ainsi dire matérielle de l’individu empirique. Là est, en effet, la difficulté ; mais puisqu’il faut toujours, dans la pratique, prendre un parti, et entre deux systèmes choisir celui qui, en définitive, présente une difficulté moindre, du sien, qui met la justice et la moralité si haut qu’elles ne passeront jamais dans la conduite, ou de celui qui se résout par un postulat à accepter le rapport intime des actes matériels et de la loi qui leur impose la forme de la moralité, lequel doit être préféré ? lequel, en somme, donne l’idée la plus vraie de la loi morale, de celui qui en anéantit les effets et l’anéantit elle-même, ou de celui qui montre sa réelle et profonde influence sur la vie des hommes ?

Encore ne serions-nous pas surpris que M. Lévy persistât à refuser la concession que nous lui demandons ; mais ce qui nous surprend au plus haut point, c’est qu’il la refuse au juriste, tant qu’il, s’agit de nier le principe moral de la justice sociale, et qu’il se l’accorde avec tant de facilité à lui-même dès qu’il s’agit de donner un sens à la moralité personnelle, et de remplacer la justice vraie par une prétendue justice qui n’est que la charité (p. 189. sqq.). Quand il aborde en effet le sentiment de la responsabilité intérieure, les obstacles qui tout à l’heure étaient insurmontables s’évanouissent comme par enchantement : plus de difficulté pour reconnaître l’imposition à l’acte de la forme du devoir, plus d’abîme entre la matière et la forme, le phénomène et le noumène ; l’homme personnel se possède soi-même, confère à son être l’excellence morale de la vertu ou la bassesse du vice, jouit de l’impénétrable liberté, mérite moralement ou démérite, devient digne des sanctions justifiées pour sa conscience, et fait descendre en un mot l’absolu dans son existence pourtant tout empirique et relative (ch.  V, § III).

D’où vient donc, après tant de rigueur, cette complaisance subite pour ce qui tout à l’heure paraissait contradictoire ? D’où vient cette conciliation d’éléments inconciliables ? M. Lévy la justifie en invoquant les postulats de Kant : faire en faveur de la loi morale un acte de foi, c’est, dit-il, croire en son efficacité pratique (p. 206, sqq.) ; mais si les actes prennent la forme de la moralité, comment ne seraient-ils point libres comme ils sont moraux, méritoires comme ils sont libres, justes ou injustes comme ils sont méritoires, justement récompensés ou punis dans cette vie ou dans la vie future comme ils sont justes ou injustes ? Admettre une seule fois la relation possible des actes indifférents et de la loi nouménale, c’est admettre du même coup la liberté et le mérite, c’est-à-dire tout ce que l’auteur de la thèse prétendait détruire : mais ne semble-t-il pas qu’on eût pu invoquer plus tôt les postulats de la