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D’autre part, Broca avait entrepris, dans les dernières années de sa vie, des recherches dont nous n’avons pas retrouvé la trace dans ses publications ; mais qui, nous devons le dire, ont été le point de départ de nos propres études. Il s’agissait de rechercher l’état des forces constaté à la main, au moyen du dynamomètre de Régnier, chez des sujets appartenant à différentes classes de la société. Le résultat de ces recherches nous montre que la pression produite par l’effort de flexion des doigts est moins forte chez les ouvriers dont la profession est exclusivement manuelle que chez les ouvriers d’art, qui dépensent moins de force musculaire, mais dont l’intelligence est plus en jeu ; et enfin elle est plus considérable encore chez les sujets adonnés aux professions libérales, dans les mêmes conditions d’âge. L’influence de la taille semble peu considérable. Un certain nombre d’observations sur les femmes nous permettent de reconnaître que, chez elles aussi, la plus grande énergie de l’effort momentané coïncide avec la plus grande activité des fonctions intellectuelles.

M. Manouvrier[1] a fait des recherches dynamométriques sur des sujets qu’il a choisis parmi ceux qui n’exercent point professionnellement leurs muscles, et il pense que l’énergie de la contraction musculaire pourrait être mise en rapport avec le volume du cerveau ; mais la preuve n’est pas faite.

Quoi qu’il en soit, il nous semble que des observations qui précèdent on est en droit de tirer cette conclusion que l’énergie de l’effort momentané est en rapport avec l’exercice habituel des fonctions intellectuelles.

Toutefois on peut objecter qu’il est impossible d’établir quel rôle l’alimentation et l’hygiène individuelle jouent dans la production de ces différences d’énergie du mouvement volontaire ; sans compter qu’en ces matières il est imprudent de tirer des conclusions trop formelles de statistiques toujours insuffisantes : c’est une réserve que nous avons faite expressément dès le début de nos recherches. Il importait donc d’apporter de nouveaux faits pour mettre hors de doute l’influence du travail intellectuel.

II

C’est une notion vulgaire qui, sous l’influence de certains états physiologiques comme la colère, ou d’états pathologiques comme l’excitation maniaque, les efforts musculaires, acquièrent une énergie inusitée ; mais cette exagération n’a jamais été régulièrement pesée. Dans ses

  1. L. Manouvrier, Note sur la force des muscles fléchisseurs des doigts chez l’homme et chez la femme, et comparaison du poids de l’encéphale à divers termes anatomiques et physiologiques (Assoc. franç. pour l’avancement des sciences. La Rochelle, 1882, p. 605).