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on n’en peut pas conclure qu’il n’est pas physiologique de les distinguer ; mais lorsqu’on veut des experts pour apprécier ces différences, on choisit des sujets qui réagissent toujours de la même manière à la même excitation, c’est-à-dire qui soient toujours capables d’avoir constamment la même appréciation sur le même objet. Je n’ai pas fait autrement, j’ai choisi des sujets qui aient des réactions constantes, et cette précaution était d’autant plus indispensable que je n’avais jusqu’à présent pour mesurer les différences qu’un instrument grossier, peu sensible. J’ai trouvé une douzaine de sujets qui fournissent des résultats constants, tel pour les sensations musculaires, tel pour les sensations olfactives, tel pour toutes les sensations à la fois. Si j’ai souvent choisi pour exemple une hystérique qui donne comme je l’ai fait remarquer des résultats considérablement grossis, ce n’est pas qu’il soit indispensable d’être hystérique pour donner des résultats importants : parmi mes sujets il y a deux médecins qui constituent des sujets fort remarquables, et j’ai déjà cité l’un d’eux à propos des sensations olfactives.

Il faut noter d’ailleurs que, dans les expériences de psychologie, le choix des sujets s’impose souvent. Ainsi lorsqu’on étudie les sensations visuelles consécutives ; le contraste simultané, etc., on constate bien vite que tous les sujets sont loin de réagir également. M. Wundt a signalé une expérience fort curieuse, qui consiste à s’imaginer, les yeux étant fermés, une figure colorée en rouge, et à diriger le regard sur une surface blanche : on aperçoit alors une image consécutive verte. C’est là une expérience fertile en déductions psychologiques ; mais très peu de sujets sont capables de la répéter : la statistique prouverait certainement qu’elle est fausse. Cependant je puis affirmer qu’elle est parfaitement exacte, je peux la reproduire sur moi à volonté. Un résultat, si exceptionnel qu’il soit, conserve toute sa valeur quand il est bien acquis. C’est justement pour cela que je me suis attaché de préférence aux faits caractéristiques qui donnent des résultats assez nets pour que l’erreur ne soit pas à redouter. Je n’ignore pas, je le répète, qu’on ne les retrouve pas sur le plus grand nombre des sujets ; mais il ne faut pas confondre les expériences négatives et les expériences contradictoires. Il me paraît légitime d’appliquer à ces recherches sur la physiologie du système nerveux la méthode de nosographie qui consiste à décrire d’abord avec soin les cas grossiers qui mettent en lumière avec plus d’évidence les phénomènes qu’il s’agit de signaler à l’attention, et à réserver pour plus tard les cas frustes qui ne feraient que jeter du trouble dans la question. Aussi, après avoir présenté des considérations générales, basées sur des observations faites sur des sujets déjà chosis, n’entrerai-je dans le détail qu’en procédant par observations individuelles. Que ces observations aient trait à des sujets anormaux je veux bien le concéder ; mais les anomalies ne doivent pas plus être dédaignées en physiologie qu’en anatomie, où elles sont d’un grand secours pour l’étude du développement et de l’évolution.

D’ailleurs, s’il est certain que les névropathes sont des sujets pré-