Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
371
BERNARD PEREZ. — la conscience et l’inconscience

sciences. S’il était venu, j’aurais été premier, et lui second, de sorte que je n’y aurais rien gagné (il voulait dire perdu). Je viens d’être second en histoire et en géographie. Hier j’ai composé en allemand, c’est-à-dire en thème. Samedi, je composai en version ; je suis sûr d’être deux fois premier. »

Un mois plus tard, me trouvant auprès de cet enfant, j’ai voulu savoir jusqu’à quel point il se rendait compte de ses efforts et de ses progrès. Je lui fis cette question : « Es-tu aussi fort sur le piano que ton frère ? — Oh ! répondit-il, je sais la Marseillaise, Ne grimpez pas aux nids, J’ai un pied qui remue… Nous avions un peintre à la maison, qui chantait Un pied qui remue. Il était très grossier, et il chantait comme ceci… — Ce n’est pas ce que je voulais savoir. Tu ne sais pas si tu es plus fort ou moins fort que ton frère en musique ? — Ah ! tu veux dire quel est le plus avancé de nous deux ? Il est plus loin que moi : il a eu plus de leçons que moi. Je vais, si tu veux, demander à maman quel est celui qui joue le mieux. » Il disparaît, et revient au bout de trois minutes. « Mon frère, me dit-il, est plus avancé que moi ; mais j’ai plus de dispositions que lui. » Mis sur la voie, il m’expliqua les raisons du fait. « Il a eu plus de leçons, parce que je rentre de classe à onze heures, et lui à dix ; je n’ai pas autant de temps que lui pour apprendre. »

J’ai poursuivi mon enquête. J’ai appris que l’enfant sait additionner de tête 5 et 5, 10 et 10, 20 et 20, multiplier 5 par 5, 6 par 6, etc. Il prétend avoir appris cela seul ou à peu près. Il le croit. La vérité est qu’il l’a appris sans s’en douter, et, d’ailleurs, par la bonne méthode. Souvent, en promenade, il demandait ce que signifiaient les numéros des tramways ; on lui répondait que la voiture marquée 1 partait la première, la voiture marquée 2 la seconde, et ainsi de suite. Il eut vite fait de savoir les éléments de la numération parlée et de la numération écrite. Il fit les autres progrès de la même manière, en comptant ses billes, ses plumes, ses chemises, ses timbres, ses livres, les feuilles de ses cahiers, un peu par observation instinctive, beaucoup par usage et routine. Mais il fallait très peu l’aider, comme on vient de le voir, pour l’amener à mettre au clair tous ces faits de connaissance obscure.

J’ai fait quelques expériences du même genre sur d’autres enfants de cet âge. Je ne citerai que deux cas, pour ne pas épuiser la série des opérations intellectuelles. Un enfant de sept ans et deux mois, très bon observateur, très grand raisonneur, montrait fort peu d’imagination littéraire. Ses parents s’en désolaient, croyant le mal sans remède. J’ai cherché à tirer de lui quelques renseignements utiles sur cet état de choses. Je lui ai suggéré quelques associations