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ANALYSES.e. vacherot. Le nouveau spiritualisme.

cette concession faite au panthéisme, M. Vacherot s’efforce de distinguer Dieu du monde, de rendre aux créatures leur indépendance, de ne pas disperser l’activité créatrice « dans la vague et flottante image de l’infini. » Il ne veut pas qu’on applique au divin la catégorie du devenir, qu’on dise de Dieu qu’il sera, qu’il se fait. Il n’accepte pas davantage le Dieu-Substance de Spinoza : « le Dieu vivant est une cause qui crée de vraies causes, non une substance qui se manifeste par des modes dépourvus de toute spontanéité. » Il ne faut même pas dire que Dieu est le monde, qu’il est le Tout. « Il n’est pas le monde puisqu’il en est la cause. Il ne s’en distingue pas seulement comme le tout de ses parties. Le Tout n’est que l’unité collective de l’infinie variété des êtres finis existant à un moment donné. Définir Dieu par le Tout, c’est le confondre avec l’Univers. Ce n’est pas seulement entrer dans le panthéisme, c’est tomber dans l’athéisme pur. » Mais si Dieu est immanent au monde, si l’absolu n’existe pas en dehors des réalités relatives dont l’ensemble forme l’univers, comment séparer les deux termes, comment concevoir l’existence distincte de l’absolu ? Dieu reste distinct de ses créations, non pas comme une cause étrangère et extérieure au monde, mais en ce sens qu’il garde toute sa fécondité, toute son activité, tout son être, après toutes les œuvres qu’il crée, sans les faire sortir de son sein ? Il en reste distinct, en demeurant au fond de tout ce qui passe, non pas immobile dans la majesté silencieuse d’une nature solitaire, puisque sa nature est l’activité même, mais toujours avec la même énergie de création, en sa qualité de puissance infinie » (p. 308). M. Vacherot ne cède-t-il pas ici à son désir de concilier les idées inconciliables ? Je comprends qu’on puisse par abstraction distinguer l’ensemble des phénomènes et des êtres qui constituent l’univers actuel de l’activité créatrice qui se manifeste par eux. Cet univers n’est qu’un moment de l’existence infinie ; soit, mais à cet instant précis est-ce qu’il ne la constitue pas ? Qu’est-ce qu’un Dieu qui n’est pas extérieur au monde, et qui, à chaque instant, se distingue de ce monde. Ou Dieu existe en dehors de l’univers, ou il n’en peut être séparé que par une abstraction : le choix s’impose. M. Vacherot ne dit-il pas lui-même « que la création ne peut être comprise comme un accident de la vie divine, qu’elle est éternelle, incessante, nécessaire, qu’elle est la vie divine elle-même » (p. 334). Et quand, reprenant la théorie de l’évolution du point de vue de sa métaphysique il suit les développements et le progrès de l’Être universel, n’écrit-il pas : « La métaphysique, qui ne sépare point Dieu du monde, peut seule faire du principe de finalité une loi absolue et nécessaire, en se fondant sur la révélation scientifique de l’évolution. Notre spiritualisme affirme la nécessité, l’éternité, l’infinité de l’évolution cosmique, comme expansion de l’activité incessante de la Cause finale » (p. 398). Pourquoi faut-il que M. Vacherot ait toujours eu peur de panthéisme ; que de contradictions il se fût évitées en prenant bravement son parti !

II. Dans la longue étude que nous avons consacrée ici même à la phi-