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dans la philosophie de nos jours ; il le prend à partie, dès l’antiquité, au nom d’Aristote, et il invoque avec d’autant plus de confiance cette autorité vénérable entre toutes que ce n’est pas seulement celle du père de la métaphysique, mais celle du père de l’histoire naturelle. Passe-t-il du véritable Aristote à l’Aristote défiguré du moyen âge et de la scolastique, il pourfend encore, sur le dos du nominalisme, l’empirisme contemporain. S’il rencontre, à la Renaissance, l’alchimie toujours florissante, il remarquera qu’il ne faut pas trop se moquer des illusions dont continuaient à se bercer, au xvie et au xviie siècles, les adeptes du grand œuvre ; car la chimère de la transmutation des métaux n’est pas plus incroyable que cette autre chimère dont notre siècle paraît féru : la transformation des espèces, et si la première s’est évanouie sans retour, il n’est pas téméraire de prédire, à bref délai, un sort pareil à la seconde.

M. Franck ne voit, en effet, dans les doctrines qu’il combat que des aberrations passagères. Les partisans de ces doctrines font encore moins d’honneur à la « vieille philosophie », qui prononce avec tant d’assurance leur arrêt de mort : ils la considèrent comme déjà morte. Pour nous, sans prendre parti sur le fond des choses, nous dirions volontiers aux uns et aux autres :

Les gens que vous tuez se portent assez bien.

Nous croyons qu’aucune doctrine philosophique ne meurt tout entière. L’histoire de la philosophie n’est pleine que d’une série de résurrections. Les systèmes sont comme les feuilles, dans la parabole homérique : ils ne tombent que pour renaître. Le transformisme trouve son application dans cette évolution des idées : la renaissance, pour les systèmes, est toujours une transformation. Ils ne se transmettent une façon commune de raisonner et de penser qu’à la condition de l’adapter à l’état intellectuel du milieu dans lequel ils se produisent. Ils forment des familles, dont on peut réunir sous un même nom les représentants successifs ; mais l’unité du nom n’exprime entre eux qu’une parenté, non une identité véritable. Le lien d’un système disparu au système de même famille qui a pris sa place est du même ordre que celui que les naturalistes découvrent ou croient découvrir entre une espèce éteinte et une espèce actuellement subsistante.

Nous demanderons à M. Franck lui-même, tout adversaire qu’il est du tranformisme, quelques exemples de cette transformation des systèmes. Il nous montre dans Origène le créateur de la théologie chrétienne. Origène a précédé les conciles qui ont fixé le dogme. Il a pu ainsi être impunément un interprète aussi hardi que profond des textes sacrés. Quelques-unes de ses interprétations ont fait loi pour l’orthodoxie catholique ; d’autres ont pris place parmi les hérésies et quelques-unes même ont devancé des façons toutes modernes de comprendre la foi au Christ ; mais ce qu’il y a de plus remarquable chez ce père de l’Église, dont l’autorité est restée grande dans l’Église, après qu’il a été condamné