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elle est due à une tendance qui rencontre certains obstacles. Il nous est agréable, par exemple, de marcher quand nous sommes restés longtemps sans bouger, mais il est à remarquer que le mouvement, même dans ce cas, où il s’accomplit facilement, ne s’accomplit pas sans une très légère résistance, sans un certain effort qui est précisément la cause de notre plaisir, car une fois que cet effort a complètement disparu, une fois que nous avons marché pendant un bon moment, si nous continuons à marcher d’un pas plus régulier, plus assuré, plus automatique, sans le moindre effort, le mouvement est certainement facilité, mais le plaisir disparaît et est remplacé par l’automatisme. On peut admettre que dans les premiers moments de satisfaction, quand une tendance au mouvement peut être satisfaite, les forces psychiques accumulées sont trop considérables pour que la dépense soit égale à l’impulsion ; de la sorte, l’impulsion reste encore partiellement entravée. Les faits viennent à l’appui de cette supposition, car pour conserver le même exemple, dans le premier moment de marche après un long repos, la force accumulée tend à se dépenser non seulement par des mouvements de marche, mais aussi par des mouvement divers, des sauts, des cris, des gestes, etc. Et c’est tant que dure ce superflu d’excitation, c’est-à-dire cette tendance arrêtée, que dure aussi l’état affectif. On voit par là que le plaisir et la douleur supposent une certaine condition générale commune aux deux, en tant qu’ils sont tous deux des états affectifs, absolument comme on leur trouverait d’autres conditions plus générales communes aussi, si on les envisageait, par exemple, par rapport à une qualité plus générale, celle d’être des états de conscience. Comme nous traitons ici des phénomènes affectifs en général, nous n’avons pas à nous occuper des conditions particulières qui produisent soit le plaisir, soit la douleur.

2o Nous pouvons remarquer que, dans les derniers cas que nous venons de citer comme dans les précédents, la production du sentiment s’accompagne toujours d’un nombre relativement plus considérable d’éléments psychiques mis en activité. Ainsi la respiration qui, à l’état normal, est un phénomène relativement simple, se complique beaucoup, au point de vue psychologique, quand elle est entravée, et qu’elle donne lieu à des émotions particulières. La naissance même de ces émotions est une complication ; de plus apparaissent plusieurs idées et images, idées suscitées pour se débarrasser de l’oppression, images engendrées par elles, ce qui est surtout fréquent et évident dans le rêve. Je crois n’avoir pas besoin d’insister sur ce phénomène. Dans la soif, dans la faim, dans l’amour, etc., l’imagination s’exalte et se développe, c’est un fait bien connu et il n’y a pas à s’y arrêter.