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les Résultantes. « On appelle résultante le produit de plusieurs signes. Exemple le t faiblement barré signifie volonté faible, et les grands mouvements de la plume dénotent beaucoup d’imagination. Ce sont deux signes. L’écriture qui les contient tous deux appartient évidemment à un poltron, car le manque de volonté le rend lâche, et son imagination lui exagère les dangers qu’il court. La poltronnerie est une résultante. »

Que cet exemple soit contestable ou non, peu importe : il fait très bien voir ce qu’on entend par les résultantes et quel rôle elles jouent en graphologie. À vrai dire, la graphologie n’est possible que si les résultantes peuvent être déterminées avec quelque certitude, car elle consiste essentiellement à reconstituer dans son unité concrète la personnalité intellectuelle et morale d’un individu, « en harmonisant le produit de tous les signes qui composent son écriture, » autrement dit, en interprétant ces divers signes non seulement un à un, mais dans leurs rapports entre eux, et les uns à la lumière des autres.

M. Crépieux-Jamin aurait dû insister davantage sur ce point, car c’est là le côté vraiment philosophique de son sujet. La « science » qui lui est chère relève entièrement de cette psychologie, pour laquelle il montre une sévérité malencontreuse. Il ne suffit pas, en effet, pour que le caractère puisse être connu par l’écriture, qu’il y ait un lien certain entre tel trait de caractère et telle habitude graphique ; il faut encore qu’il y ait certaines lois de composition du caractère, lois qui ne peuvent que résulter des lois plus générales de la psychologie, et sans lesquelles on ne saurait ni juger de l’importance relative d’un signe, ni deviner, entre les combinaisons très diverses que peuvent former ensemble un certain nombre de signes quelle est celle en présence de laquelle on se trouve.

L’auteur établit bien que les traits saillants de l’écriture sont autant de manifestations du caractère. N’est-il pas évident que notre écriture est quelque chose de nous, qu’il y a, par exemple, une analogie entre nos traits de plume et nos gestes, que nous mettons plus ou moins dans ces gestes inscrits, comme dans nos mouvements en général, la marque de notre vivacité ou de notre mollesse, de notre simplicité ou de notre prétention, en un mot, de notre personnalité ? Il n’est donc pas étonnant qu’une longue observation puisse mettre un esprit ingénieux et fin en état de dire des choses d’une exactitude parfois très piquante, sur le caractère d’un homme dont il ne sait rien par ailleurs et dont il voit l’écriture pour la première fois. C’est là un fait dont tout le monde a pu être témoin, et qui n’a rien de merveilleux. À qui n’est-il pas arrivé de prendre, d’après l’écriture seule, une opinion plus ou moins bonne d’un homme avec qui l’on entre en relations. Consciente ou inconsciente, c’est là une anticipation habituelle et certainement légitime de ce que nous révèleront le visage, la tenue, la démarche, tout le jeu de la physionomie. On conçoit, dis-je, que cette sorte de divination, à laquelle tout le monde se livre plus ou moins sans y atta-