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les différentes combinaisons de cet élément primitif et unique. C’est une conception physique ou mécanique du principe universel.

L’idéalisme entreprend d’expliquer le monde par le rapport des idées multiples, qui constituent son développement, avec une idée première et suprême. Mais comme on ne saurait faire entendre qu’une idée soit un principe d’action, un agent, l’idéalisme est toujours conduit à l’affirmation, ou formelle ou latente, d’une force inconsciente qui réalise un plan dans lequel se trouve la raison d’être dernière des choses. Une force inconsciente réalisant un type qui la domine et qu’elle ignore, c’est l’idée la plus ordinaire qu’on se forme du principe de la vie dont les organismes sont le produit. Pour devenir intelligible, l’idéalisme revêt donc nécessairement la forme d’une conception biologique. Le spiritualisme admet que la cause suprême de l’univers est un esprit conscient, dont la puissance infinie se manifeste dans l’acte de la création. C’est une conception psychologique du principe universel. Elle n’est pas plus anthropomorphique que les deux conceptions précédentes, puisque la matière avec les lois qui la régissent et la force inconsciente qui, selon l’opinion commune, préside aux phénomènes simplement vitaux, existent dans l’homme, le microcosme, aussi bien que la volonté dirigée par l’intelligence.

L’étude de la philosophie m’ayant conduit, sous le rapport de la classification des systèmes, aux résultats qui viennent d’être brièvement indiqués, j’ai dû me demander quelle pourrait être dans cette classification la place de la théorie contemporaine de l’évolution. C’est, je le répète, le point de vue spécial sous lequel j’étudie ici cette doctrine. Pour bien faire entendre la question, quelques indications historiques sont nécessaires.

Au xviie et au xviiie siècle, l’opinion la plus généralement répandue était que le monde avait été créé immédiatement dans sa forme actuelle, et avec la diversité de ses éléments. Descartes, bien qu’il eût conçu l’idée d’une organisation progressive du système solaire, se croyait pourtant obligé d’admettre qu’il n’y avait là qu’une manière de se rendre compte de l’état actuel des choses, à un point de vue purement théorique, et que la pensée de la sagesse souveraine de Dieu devait nous faire admettre que le monde avait été immédiatement créé tel qu’il est[1]. Voltaire se refusait à admettre les changements qu’on croit constater dans le développement de la nature. Aux conceptions de la géologie naissante il opposait cette pensée : « Rien de ce qui végète, de ce qui est animé n’a changé ; toutes les

  1. Saigey, Les Sciences au dix-huitième siècle, Livre I, chapitres viii et ix.