Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
575
E. NAVILLE. — la doctrine de l’évolution

mouvement en soi ? Nullement. La matière est ce qui résiste dans l’espace, nous n’en savons rien de plus. Les objets résistants changent de place, c’est le mouvement. De la considération de ces deux données il ne sort rien, absolument rien. Ce que la science étudie, ce sont les lois du mouvement. L’objet de la science n’est jamais la réalité sensible, mais l’idée ordonnatrice que l’on saisit dans cette réalité expérimentale. On dit que la vérité consiste dans l’accord de notre pensée avec les faits. La définition n’est pas mauvaise ; mais elle a besoin d’être interprétée. Au delà de la pure et simple affirmation des réalités de l’expérience, affirmation qui n’est que la matière brute de la science, la vérité consiste dans l’accord de notre pensée personnelle avec une pensée impersonnelle pour nous qui est l’expression de la loi des faits.

Notre intelligence bornée et faillible s’efforce de rencontrer l’intelligence manifestée dans la nature ; la science est cela, et n’est rien que cela. Or cette intelligence discernée dans la nature ne peut être qu’une manifestation du principe universel ; personne ne saurait le nier, et les partisans de l’évolution moins que personne. Tout ce qui arrive à l’existence est contenu virtuellement dans un germe préexistant, c’est le fondement de la partie vraie de leur doctrine. Il faut donc que l’intelligence dont le monde porte l’empreinte soit un des attributs de la puissance primitive. Il en résulte que l’inconnaissable nous est connu, non seulement comme un pouvoir infini, mais comme un pouvoir intelligent.

Quel est l’effet des lois intelligibles dans lesquelles se manifeste la puissance qui se révèle dans tous les êtres ? Les évolutionnistes affirment que le développement du monde physique, lentement organisé, a réalisé les conditions de la vie ; la vie, par son développement, a produit l’humanité ; l’humanité, par l’effet du progrès, réalise de plus en plus le bonheur social. Le bonheur se montre à l’horizon des âges comme le but auquel tend le développement du monde.

D’où vient ce progrès ? Il est le résultat des lois, et ces lois sont la manifestation du principe universel. Si le bonheur doit être le résultat de la manifestation du pouvoir primordial qui préside à l’ensemble des phénomènes, un nouvel attribut ne s’impose-t-il pas à la pensée dans la conception de ce pouvoir ? L’étude scientifique de la nature impose l’idée de l’intelligence ; la foi au progrès, qui est la forme de l’optimisme dans la doctrine de l’évolution, n’impose-t-elle pas l’idée de la bonté ? Je ne discute pas ici les bases de la doctrine de l’évolution ; je m’efforce d’extraire de cette doctrine les affirmations qui m’y semblent légitimement contenues si l’on veut en faire une philosophie.