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E. NAVILLE. — la doctrine de l’évolution

des idées scientifiques : « Si nous considérons la matière telle que « l’a dépeinte Démocrite et telle qu’elle a été définie pendant des générations, dans nos livres scientifiques classiques ; l’impossibilité absolue d’en faire provenir une forme quelconque de vie suffirait pour rendre toute autre hypothèse préférable. » II affirme que la pensée de faire provenir d’une telle matière une forme quelconque de vie est a une notion monstrueuse. » Cet auteur a très bien compris que des transformations du mouvement ne peuvent jamais donner que des phénomènes mécaniques, et il s’est expliqué fort nettement à ce sujet dans le passage cité plus haut, mais il demande si la véritable conception de la matière n’est pas très différente de celle qui a généralement cours. Il déclare que, pour son compte, il voit dans la matière dont toutes choses procèdent « l’aurore et la « puissance de toutes formes et de toutes les qualités de la vie. » Il reconnaît, du reste, que c’est « par l’opération d’un mystère insoluble que la vie s’est développée, que les espèces se sont différenciées les unes des autres. » Il confesse que, même en changeant l’idée de la matière, le mystère demeure, que « ce n’est pas dans ses heures de clarté et de vigueur que le matérialisme athée s’impose à son esprit ; et qu’en présence de pensées plus fortifiantes ou plus saines, cette doctrine se dissout toujours, et disparaît comme n’offrant pas la solution du mystère dans lequel nous a sommes plongés et dont nous faisons partie[1].

Sans nous arrêter à cette confession personnelle, voyons le fond du problème. Qu’est-ce que cette matière dans laquelle le développement de l’univers est contenu en puissance ? Si l’on veut dire que tout ce qui existe est contenu en puissance et en germe dans son principe, on énonce une thèse à laquelle aucun esprit réfléchi ne saurait contredire mais le terme matière a un sens plus précis selon lequel il désigne l’objet des sens. Dans la matière ainsi conçue, en tant qu’elle est simplement l’objet de l’expérience, rien ne peut être à l’état virtuel, parce que l’expérience ne donne jamais que l’actuel. Si l’on désigne sous le titre de matière le principe qui, d’une manière mystérieuse, a produit le monde, on parle de la substance, dans un sens indéterminé, et on ouvre la porte aux équivoques les plus graves. M. Tyndall ne donne pas une autre définition de la matière, c’est-à-dire de l’objet des sens, mais il donne un autre sens au mot, ce qui est tout autre chose ; poursuivons notre examen.

  1. Voir la Revue scientifique du 19 septembre 1874 (en remarquant que, dans le texte anglais, le mot aurore est remplacé par celui de promesse) et la préface mise par l’auteur à une nouvelle édition de son discours, publiée sous la date du 15 septembre 1874.