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PAULHAN. — les phénomènes affectifs

qui les phénomènes affectifs n’acquièrent jamais un degré considérable de vivacité. C’est que, en ce cas, l’organisation tire sa supériorité, non pas du plus grand accord des tendances entre elles, mais bien de la plus grande complexité et de la plus grande importance de ces tendances qui, bien qu’imparfaitement coordonnées entre elles et avec le milieu, forment encore un système supérieur relativement à une personnalité pauvre qui ne comprend que peu de tendances, adaptées à peu de conditions, mais inférieur à un système qui, complètement analogue, mais se rapprochant davantage de l’organisation complète, ne donnerait pas naissance à des phénomènes affectifs.

Si les sentiments vifs et les passions ont le rôle le plus éclatant dans les changements et dans l’organisation plus ou moins définitive du caractère, les tendances affectives et les signes affectifs ont un rôle aussi et accompagnent souvent des changements relativement importants, mais généralement plus lents. Ils marquent plutôt la période où les tendances se consolident que la période où elles apparaissent ; ils remplacent les sentiments comme les mots et les idées remplacent les images, et s’établissent alors que les tendances ont leur place faite, plus ou moins importante, place qui n’augmentera pas, à moins de circonstances imprévues. Ils indiquent au moins une rémission dans l’invasion ou la décroissance d’un nouvel élément du caractère, et apparaissent alors que la lutte qu’a pu provoquer un conflit de sentiments s’est au moins momentanément apaisée.

Ces phénomènes affectifs, faibles pour le sens intime, indiquent plutôt la résistance de l’ancien caractère que l’attaque d’une impulsion nouvelle. Il est à remarquer, et cela s’explique aisément, que bien souvent, alors que le caractère change ou tend à changer, la force de résistance apparente est bien moindre que la force qui pousse au changement, parce que les tendances auxquelles l’impulsion nouvelle vient donner assaut, étant mieux organisées, se manifestent moins à la conscience, à moins que leur organisation ne commence à être menacée. Une vertu sûre d’elle-même ne s’émeut pas trop pour résister à la tentation, et alors même que la tentation peut se manifester psychiquement par des sentiments vifs, elle ne triomphera pas des habitudes opposées qui pourtant ne donnent à la conscience que des impressions assez vagues. Chez la Pauline de Corneille, il est évident que pendant longtemps l’amour pour Sévère est au point de vue du sens intime beaucoup plus vivement ressenti que l’estime pour Polyeucte ou que l’idée abstraite du devoir. Nous pouvons admettre facilement que ces dernières tendances ne se manifestent à sa conscience que par des idées et des phénomènes affectifs calmes, tandis que l’attrait qui l’entraîne vers