Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
630
revue philosophique

cesseurs, pour céder un jour la place à d’autres qui referont ce qu’ils ont fait et ainsi de suite indéfiniment. Toutes les sociétés décrivent un même cercle. L’intelligence et la moralité sont aujourd’hui ce qu’elles ont été de tout temps. L’esprit humain est un kaleidoscope : ce sont toujours les mêmes idées et les mêmes sentiments, mais groupés de mille manières différentes.

S’il en est ainsi, nous avons à notre disposition une riche provision de faits instructifs et une méthode facile pour les interpréter. Si jusqu’ici le sociologue ne tirait pas grand profit de l’histoire, c’est qu’entre les sociétés d’autrefois et celles d’aujourd’hui, il voyait plus de différences que d’analogies. Si l’humanité est dans un perpétuel devenir, le regard de l’observateur ne peut la suivre dans cet écoulement sans fin. À peine a-t-il les yeux fixés sur elle qu’elle cesse d’être elle-même ; et ce qui était vrai ne l’est plus. Dans de telles conditions la connaissance du passé ne saurait jeter de bien grandes lumières ni sur le présent ni sur l’avenir. On pourra toujours, il est vrai, enchaîner les uns aux autres les événements successifs de l’histoire. Mais alors on reste dans le particulier, sans s’élever aux lois ; on fait de l’art, non de la science. Il n’en est plus de même si les sociétés ne font que se répéter les unes les autres. Alors, pour dégager les principes sur lesquels elles reposent, il suffira de les comparer entre elles ; on éliminera les différences, qui ne sont que superficielles, pour atteindre les ressemblances, qui sont le fond même des choses, et on obtiendra de cette manière les lois qui régissent toutes les sociétés, présentes ou passées, connues ou inconnues.

Après avoir exposé sa méthode, l’auteur l’applique aux principaux problèmes de la sociologie.

Tout le monde social est dominé par une loi dont toutes les autres ne sont que des corollaires et qui peut être formulée ainsi : Tout groupe tend à se subordonner les groupes voisins pour les exploiter à son profit. Bedürfnissbefriedigung mittelst Dienstbarmachung der Fremden, la satisfaction des besoins sociaux par l’asservissement des étrangers, voilà le double ressort qui met en mouvement toute l’humanité. Deux hordes entrent en contact. Aussitôt elles cherchent à s’assujétir l’une à l’autre et la lutte commence. Mais elle n’aboutit pas à l’écrasement des plus faibles. Les vainqueurs aiment beaucoup mieux retenir les vaincus en leur pouvoir pour en tirer le plus de services possible. Alors au lieu de deux groupes indépendants, il n’y en plus qu’un, mais divisé en deux classes d’une part les esclaves, les sujets, de l’autre les maîtres, les gouvernants. Telle est l’origine, telle est aussi l’essence de l’État. Car l’État n’est rien autre chose que l’ensemble des institutions destinées à assurer le pouvoir d’une minorité sur une majorité. — Mais cette société rudimentaire ne tarde pas à se compliquer. Ni les maîtres ni les esclaves ne connaissent l’art d’embellir la vie ; ni les uns ni les autres ne savent tirer tout le profit possible des forces énormes dont ils disposent. Mais il y a ailleurs des peuples qui possèdent déjà cette