Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/656

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
652
revue philosophique

des sens et de l’imagination ne prouvent pas que la perception pût être fausse, mais seulement que les jugements peuvent être faux, que nous tirons de nos perceptions. L’auteur n’a raison qu’à moitié : il est des états pathologiques où les organes des sens communiquent leur perversion au jugement. Ce qu’il dit de l’illusion normale est d’ailleurs incontestable ; il n’y aurait pas d’illusion sur la réalité, si la réalité n’avait pas été véritablement perçue et conçue, puisque c’est à elle qu’on rapporte et compare l’illusion, pour la corriger. Il y a plus, même dans les illusions morbides les plus accentuées, l’homme qui se voit double, absent ou mort, ne doute jamais d’une réalité disparue ou modifiée, passée ou présente, en un mot, de la réalité perçue dans les choses. L’abstraction, qui s’exerce sur les perceptions, sans en dépasser les limites, participe évidemment de sa vérité et de sa certitude. Dans la généralisation et l’intégration, le désaccord entre la réalité subjective et la réalité objective est plus facile et plus habituel. Il est clair que, dans la connaissance entièrement abstraite, la certitude prend un nouvel aspect. Ici le suprême critère de la certitude réside uniquement dans le principe de contradiction. L’auteur distingue l’ordre de connaissances qui se fondent immédiatement sur le principe de contradiction, et c’est la sphère d’une certitude logiquement absolue, de l’ordre de connaissances qui se fondent médiatement sur ce principe, et c’est le domaine de la certitude relative, de la plus ou moins grande probabilité. Cette relativité des connaissances, spéciale à certaines d’entre elles, n’a rien de commun, on le voit, avec la relativité idéaliste ou positiviste, qui est au fond la même. Il n’y a pas à craindre, non plus, qu’en déterminant si rigoureusement la certitude des connaissances humaines, on réduise indûment à un bien petit nombre les connaissances vraies et certaines. Toutes les sciences de la nature, depuis les mathématiques jusqu’aux sciences biologiques, relèvent directement du principe de contradiction. Dans les sciences historiques et morales, où la liberté humaine, ou son équivalent en déterminisme, paraît restreindre beaucoup l’application de ce principe, on peut y rattacher indirectement cette maxime ou règle méthodique : que les conséquences logiques d’une hypothèse ou probabilité acceptée et reconnue de quelque manière que ce soit ne soient pas contredites.

Le champ de la certitude absolue est donc très étendu. Mais celui de la probabilité, de l’hypothèse, de la conjecture, de la croyance personnelle, aux conditions si variables, sera toujours démesurément plus vaste. Dans cette immense sphère de connaissances, le principe de contradiction sert encore de règle pour la recherche, et de mesure pour l’affirmation de la vérité. « Aucune opinion, aucune hypothèse, aucun argument ne peuvent jamais avoir de valeur pour la croyance ou la probabilité, s’ils impliquent en quelque manière contradiction. » L’auteur concède aussi qu’il y a lieu de distinguer, avec quelques logiciens, les principes de contradiction absolue, de contradiction physique et de contradiction morale. En définitive, « cette nécessité de recourir, en