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variétés

ne nous persuade pas, malgré ses efforts, qu’on ait calomnié Rome. L’Italie[1] peut dresser, sans crainte d’erreur, la statue de l’homme qui a dit : « Si je pense avec la nature et Dieu, cela me suffit. Bruno n’a pas combattu le christianisme, il l’a ignoré de parti pris ; il n’a pas aimé la pensée libre, il l’a adorée ; il s’est fait l’apôtre des vérités nouvelles, il fut digne d’être martyr, et, jusqu’à preuve du contraire, il l’a été. Vanini rampa pour échapper, et n’échappa point. Bruno regarda sans terreur la « Bestia trionfante » ; disciple de Copernic, il devait périr dans la renouveau de férocité[2] où se jeta l’Église en sentant la vérité sourdre et jaillir de toutes parts. Bruno n’est pas un méthodique ; il est « inondé » par le vrai. Mais, par ses vues neuves et grandes, par son ardeur et son courage, il a été le précurseur de tous ceux qui aiment le vrai pour lui-même, et qui interrogent la nature sans réticence et sans mot d’ordre[3].

Pierre Gauthiez.
  1. Il est à souhaiter qu’à propos de ce « centenaire » une édition complète et critique de Bruno soit enfin donnée. La statue parlera au peuple du martyr ; il faut que les philosophes puissent étudier le penseur mieux que dans l’édition médiocre de Wagner (œuvres en italien) et dans les éditions rares et incomplètes des œuvres latines.
  2. Plus clémente au xve siècle (cf. Müntz. La Renaissance), l’Église, à mesure que naissent les doctrines nouvelles, s’affole, et se jette dans la répression à outrance.
  3. Kepler exprimait son admiration pour Bruno, l’étudiait, et regrettait que Galilée ne l’eût pas nommé comme un précurseur. (Berti, loc. cit.).