Aller au contenu

Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
revue philosophique

mise, et nous savons que la transmission s’est opérée par un procédé psychologique difficile à déterminer ; une trace de ce genre ne donne qu’une connaissance indirecte du deuxième degré reliée par une loi de transmission obscure à une connaissance indirecte du premier degré qui elle-même se lie au fait par la loi mal connue de la perception. De la trace matérielle on remonte au fait à travers une seule empreinte dont la cause est bien connue ; à partir de la trace psychologique, il faut traverser deux empreintes, toutes deux psychologiques et difficiles à saisir. Aussi les charbons éteints prouvent-ils l’existence d’un foyer plus sûrement que tous les récits.

Cette différence permet de partager les documents en deux classes : 1o documents matériels qui sont le produit de phénomènes matériels anciens ; 2o documents psychologiques ou symboliques qui sont les signes de l’état psychologique d’un auteur. Les premiers donnent un enseignement direct ; les autres ne renseignant que sur un état psychologique, il faut les traiter par un procédé psychologique pour en tirer une connaissance sur un fait extérieur. Dans la première classe rentrent les débris laissés par les hommes (armes, vêtements, édifices) ; dans la 2e les écrits et les documents figurés[1].

Un document matériel est un fait semblable aux faits de minéralogie ; une lame de métal, un amas de pierres sont des objets de même nature qu’un échantillon de minerai, ils peuvent être étudiés par les mêmes procédés. Un document symbolique est un fait sans analogue parmi les faits d’expérience, car il consiste non dans la matière accessible à l’observation (pierre ou papier), mais seulement dans le symbole représenté sur cette matière. Ce symbole contient toujours un enseignement, puisqu’un symbole est toujours le produit d’une opération de l’esprit ; mais il n’est une source de connaissance réelle qu’autant qu’il permet de remonter au fait psychologique qui l’a produit. Il a une valeur non par lui-même, mais par les renseignements qu’il fournit sur l’état d’esprit dont il est le signe. On ne peut donc appliquer à un document symbolique les mêmes procédés qu’aux faits d’expérience matérielle.

Pour déterminer les procédés qui conviennent à ce genre de documents, il faut analyser le rapport entre un symbole et le fait dont il est le signe. Ce n’est pas un rapport immédiat, comme entre un phénomène matériel et ses effets matériels. Le fait qui a causé le docu-

  1. Un même objet est un document symbolique en tant qu’on recherche le sens des symboles qu’il contient, un document matériel en tant qu’on considère l’objet lui-même. Un papier écrit est un document symbolique pour celui qui déchiffre l’écriture, matériel pour celui qui cherche si le papier est en fil ou en coton.