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Chittatong Hill, le baiser est remplacé par l’acte de flairer la joue (cité par Spencer, Principes de sociologie, quatrième partie).

Les odeurs naturelles du corps humain ne sont pas les seules qui produisent un effet excitant ; les odeurs factices, fabriquées par la parfumerie, produisent chez beaucoup d’individus le même effet ; notons que dans beaucoup de parfums artificiels on relève l’effet d’ensemble par un fragment de musc, de civette, ou de castoreum, matière empruntée à ce que Mantegazza appelle « les organes d’amour » de l’animal.

Passons maintenant au fétichisme, qui n’est que l’exagération d’un goût normal. Il y a lieu de remarquer que ce sont les odeurs du corps humain qui sont les causes responsables d’un certain nombre d’unions contractées par des hommes intelligents avec des femmes inférieures appartenant à leur domesticité. Pour certains hommes, ce qu’il y a d’essentiel dans la femme, ce n’est pas la beauté, l’esprit, la bonté, l’élévation de caractère, — c’est l’odeur ; la poursuite de l’odeur aimée les détermine à rechercher une femme vieille, laide, vicieuse, dégradée. Porté à ce point, le goût de l’odeur devient une maladie de l’amour. Un homme marié, père de famille, qui ne peut pas sentir une certaine odeur de femme sans poursuivre cette femme dans la rue, au théâtre ou n’importe où, est en général classé par les aliénistes dans la grande catégorie des impulsifs. Pour nous, qui considérons surtout les faits de cet ordre sous l’angle de la psychologie, nous voyons dans cette poursuite de l’odeur la preuve d’un état mental particulier dans lequel une seule des qualités de la femme poursuivie — l’odeur — se détache des autres et devient prépondérante.

M. Féré a bien voulu me communiquer l’observation suivante qui se rapporte peut-être au fétichisme de l’odeur : Il a donné des soins à un malade qui présente un cas intéressant de fétichisme ; lorsque ce sujet rencontre une femme rousse dans la rue, il la suit ; peu importe que la femme soit jolie ou d’une laideur repoussante, élégante ou en guenilles, jeune ou vieille ; il suffit qu’elle soit rousse pour qu’il la suive et la désire. Le malade, qui est un homme de lettres distingué, se rend bien compte de cette impulsion morbide ; il en connaît l’origine psychologique ; à ce qu’il prétend, son goût caractéristique provient de ce que la première femme qu’il a aimée était rousse. C’est donc une association d’idées, qui a produit chez ce sujet, comme chez Descartes, la forme particulière du fétichisme. Ajoutons que si un phénomène aussi superficiel qu’une association d’idées a pu exercer une influence aussi profonde sur l’état mental du sujet, c’est parce qu’il s’agit d’un malade ; l’amant