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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/182

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sion d’esprit qui fait admettre des principes faux, faire des analyses insuffisantes, et construire des raisonnements faux. Les historiens ont donc intérêt à s’imposer l’obligation de prendre conscience de toutes leurs démarches et de se rendre compte de tous les principes de leur méthode. Ils avanceraient moins d’affirmations sans preuves s’il leur fallait analyser chacune de leurs affirmations ; ils admettraient moins de principes faux s’ils s’imposaient de formuler tous leurs principes ; ils feraient moins de mauvais raisonnements s’il leur fallait exprimer en forme tous leurs raisonnements.

VI

La vérification proprement dite ne s’applique pas à l’histoire ; elle exige la certitude que le fait affirmé ne peut pas se produire autrement, elle suppose donc qu’on peut isoler les causes du fait et les faire varier à volonté ; ce genre de vérification ne peut être fourni que par les sciences expérimentales. Mais les sciences descriptives disposent d’un autre procédé de confirmation pour fortifier leurs conclusions. Une formule dans laquelle on a résumé tous les faits semblables étudiés séparément n’est exacte que si elle s’applique à tous les faits quelconques de ce genre. Or on peut craindre que la formule construite au moyen de certains faits connus corresponde seulement à ces faits. On met fin à cette crainte en montrant qu’un fait resté inconnu au savant quand il a composé la formule est d’accord néanmoins avec cette formule, car on apporte une donnée qui n’avait pas servi pour établir la formule ; l’accord entre cette donnée prise au hasard et la formule ne peut plus s’expliquer par un accord établi artificiellement entre la formule et les données ; il rend probable un accord entre la formule et la réalité. Un géologue a conclu de certaines données qu’il y a une nappe d’eau à une certaine profondeur, son assertion sera confirmée si l’on trouve un indice nouveau qu’il ne connaissait pas. — L’histoire peut fournir ce genre de confirmation. Quand un historien a établi une proposition en se servant de certains documents, si les documents qui lui sont restés inconnus conduisent aux mêmes conclusions, la conclusion devient beaucoup plus probable, parce qu’on l’a trouvée conforme à la réalité dans un cas pris au hasard et que l’historien n’avait pu prévoir. Une seule présomption, quand elle est restée inconnue au moment de conclure, a plus de valeur que plusieurs présomptions qui sont entrées dans les éléments de la conclusion.