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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/193

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ANALYSES.ferraz. La philosophie en France au xixe siècle.

gloire ? à Tracy ou à Laromiguière ? Nous comptons beaucoup pour résoudre cette question de départager nos deux historiens sur une histoire de l’Idéologie qui nous manque encore et qui, espérons-le, ne se fera pas longtemps attendre. Quoi qu’il en soit, le jour où Garat, frappé de la finesse des objections que lui avait adressées Laromiguière, dit, du haut de sa chaire avec une modestie plus que courtoise : « Il y a ici quelqu’un qui devrait être à ma place », il ne croyait pas sans doute si bien dire et prononcer la sentence de mort du sensualisme. Si le biranisme est en germe dans Laromiguière, il faut avouer qu’il y est bien dissimulé, car Maine de Biran n’a pas ménagé les critiques à son devancier. En tout cas, la méthode de Laromiguière est encore celle de Condillac : « ce n’est pas la méthode d’analyse, c’est celle de synthèse ; car elle compose l’homme au lieu de le décomposer. C’est la méthode de l’abstrait transportée dans l’histoire naturelle de l’âme, c’est-à-dire dans la science du concret ; c’est la méthode logique de Bonald, avec ses formules verbales, substituée à la méthode psychologique de Descartes qui opère sur la réalité vivante. » Et pourtant les leçons de Laromiguière marquent une date importante : son livre était presque seul toléré par la Restauration à côté des manuels écrits en latin qui servaient à l’enseignement philosophique. Il exerça donc, dans les collèges, une heureuse influence « en maintenant, en face d’une philosophie morte, une philosophie un peu émaciée et appauvrie, mais enfin vivante. »

Avec Maine de Biran et Ampère nous arrivons presque d’emblée à l’apogée du spiritualisme français, car l’éclectisme de V. Cousin, selon un mot profond de M. Ravaisson, n’est qu’un demi-spiritualisme. Il est vrai que M. Janet proteste de toutes ses forces contre cette appellation et reproche à M. Ravaisson, non sans véhémence, « la persistance avec laquelle il écarte ce qu’il appelle le demi-spiritualisme, c’est-à-dire tout ce qui de près ou de loin tient à l’école éclectique ». Reconnaissez le vrai spiritualisme à ce signe qu’il ne redoute ni la physiologie, ni le démon des mathématiques, mauvais génie de Descartes, si l’on en croit V. Cousin. Biran était fils de médecin, nourri aux sciences médicales, président d’une société de médecins et très versé, on l’ignore généralement, dans les sciences mathématiques. Il songea longtemps à enseigner les mathématiques. Je lis dans une lettre inédite de Cabanis : « Votre ami Vanhulten aurait voulu que vous demandassiez la chaire de mathématiques qui vaquait à Versailles ; » et dans une autre lettre également inédite : « Il est un de vos travaux auquel je mets un intérêt particulier : c’est votre réforme de quelques parties de la langue géométrique ; personne n’est en état de l’exécuter comme vous[1] ». Ce détail éclaire d’un jour nouveau les relations de Biran et d’Ampère : les deux psychologues étaient en même temps deux savants. Il faut avouer que la lecture des chapitres consacrés à Biran et à Ampère m’a

  1. Extrait d’un recueil de lettres inédites que M. E. Naville a bien voulu me communiquer.