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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/239

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L. DAURIAC.le criticisme et les doctrines philosophiques

conclu au fond à l’infinitisme ? Je crois fermement que c’est ce qu’il a fait. D’abord il me paraît probable que sa doctrine métaphysique du noumène, ou les tendances dont elle procède, ont précédé chez lui l’élaboration du criticisme… À ce compte, on est forcé d’avouer que les thèses et les antithèses, toutes ensemble réunies au noumène qui les concilie en le mettant ex æquo hors de cause, ne donnent à penser rien de plus ni de moins que la doctrine de l’union des contraires au sein de l’être éternel, immense et universel, le panthéisme et l’infinitisme, l’affirmation contradictoire de l’unité absolue enveloppant l’infinie multiplicité des phénomènes sans origine ni fin[1] ». Il ne reste plus qu’à se souvenir du principe de contradiction et de ses exigences, pour conclure avec M. Renouvier que l’esprit métaphysique et l’esprit logique se font échec. Le nombre infini n’est l’objet d’aucun concept, car les deux notions de nombre et d’infini se repoussent mutuellement ; voilà ce qui est vrai ou du moins ce qui est jugé tel par des philosophes d’une autorité incontestable. Pourquoi soutenir dès lors, en dépit de la contradiction logique, que le monde est infini dans le temps, dans l’espace, dans la multiplicité de phénomènes qu’il enveloppe ? Défendre l’opinion contraire c’est, à vrai dire, protester contre le suffrage presque universel des métaphysiciens. Mais, en philosophie, les opinions se pèsent et ne se comptent pas. On sait comment l’auteur de l’Esquisse résout le problème et que, de propos délibéré, en vertu de raisons singulièrement fortes, décisives même au jugement de quelques-uns, il prend parti contre les infinitistes[2].

IV. — À tenir compte seulement du bruit que font les mots, on s’exposerait à des erreurs graves. On s’imaginerait, par exemple, que l’évolutionnisme est né d’hier. Profonde méprise : l’évolutionnisme est aussi ancien que l’infinitisme et il s’est formulé peu de temps après lui. Comparez Héraclite à M. Spencer et vous n’aurez guère besoin de forcer les analogies pour apercevoir une parenté entre les doctrines ; l’évolution, d’ailleurs, était en germe dans les plus anciennes cosmogonies des Grecs[3]. Durant la période antérieure à Socrate, le concept d’évolution secoua le joug des « théologiens mythographes », et réussit à s’en affranchir. Non seulement les physiciens d’Ionie, mais encore les représentants du pythagorisme, veulent, selon Aristote, que le plus beau et le meilleur se trouvent dans ce qui « vient des causes et non dans les causes elle-mêmes », ils

  1. P. 89.
  2. Cf. p. 98-100.
  3. P. 104.