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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/261

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A. BINET.le fétichisme dans l’amour

recherchent que le plaisir, se résume dans la jouissance de la beauté corporelle. Il faut avoir bien peu d’expérience ou bien peu de lecture pour accepter une opinion aussi bornée. La vérité est que ce qui attache à une personne aimée, c’est autant son esprit que son corps. Le talisman par lequel une femme peut charmer n’est pas uniquement dans sa beauté physique, et les femmes le savent bien, car elles ont toujours su à merveille ce qu’il leur importe de savoir. Celle-ci, comme la Rosalba de Barbey d’Aurevilly, séduit par la pudeur raffinée qu’elle conserve ou plutôt qu’elle simule dans les plus grands transports de l’amour ; ses troubles, ses émotions, ses rougeurs virginales, qu’est-ce que tout cela, sinon des qualités psychiques ? Celle-là, comme la Vellini du même auteur, laide, ridée, jaune comme un citron, fascine son amant par la férocité de son amour haineux, toujours prêt à jouer du couteau. Une autre, comme la Lydie de Dumas fils, galvanise un ancien amant par l’immoralité provocante des sentiments qu’elle étale devant lui. Ces trois exemples suffisent à prouver qu’en se fixant sur une qualité psychique, le désir sexuel ne s’épure pas toujours.

C’est l’intuition de tout cela qui a fait la profondeur des ouvrages où les romanciers ont décrit ces curieuses variétés de l’amour s’adressant presque uniquement à un état d’esprit de la personne aimée. Ils n’ont pas tous réussi à bien décrire cet amour, mais « ceux qui l’ont tenté en sont restés plus grands. » Maintenant que la formule est connue, on pourrait fabriquer à la douzaine, sur ce thème spécial, des romans plus profonds les uns que les autres.

Il ne s’agit point ici, on le comprend tout de suite, d’un goût platonique, mais d’un attrait sexuel. Beaucoup de gens qui attachent une importance capitale au caractère de la personne qu’ils épousent, se laissent inspirer par un tout autre motif. Je lisais un jour sur un album de jeune fille ce désir banal et cependant bien humain : Demande : Quel est votre vœu le plus cher ? — Réponse : Épouser une jolie femme qui ait un bon caractère. Ce que l’auteur naïf de cet aveu entendait par bon caractère est facile à comprendre : il n’était pas question d’une qualité psychique qui devait devenir pour lui une cause d’excitation sexuelle ; il s’agissait tout prosaïquement d’une condition qui devait lui assurer la paix de chaque jour.

Tarnowski[1] a publié une observation qui nous paraît ressembler beaucoup au cas de Rousseau ; on peut même dire que c’est le cas de Rousseau amplifié. Il s’agit d’un homme, d’un honnête père

  1. Inversion du sens génital. (Messager de Psychiatrie, St-Pétersbourg, déc. 1884.) Cité par Lombroso.