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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/293

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TANNERY.la cosmogonie d’empédocle

sique particulière ; c’est l’attraction du semblable pour le semblable ; il faut se garder de la confondre avec la Philotès qui nous apparaît comme produisant simplement la cohésion entre les molécules corporelles, quelle que soit leur nature, dont le rôle spécial est par suite surtout de rapprocher les éléments dissemblables et d’en former des combinaisons définies entre lesquelles peuvent s’exercer des affinités de similitude. L’action prolongée de l’Amour, secondée par ces affinités, finira par établir l’homogénéité complète. Mais l’attraction entre semblables ne perd nullement ses droits quand la Haine se substitue à l’Amour ; les combinaisons sont dissociées, les éléments primordiaux se retrouvent, « le lourd d’un côté, et le léger de l’autre » (v. 171), isolés dans la haine les uns des autres, mais au moins chacun réuni par l’attraction de ses parties. La dissociation ne peut aller plus loin, ni la matière se dissiper dans l’espace infini, puisque l’infinitude est niée par Empédocle, en cela fidèle disciple de Parménide.

Ces explications me paraissent de nature à combler la « lacune frappante » qu’Ed. Zeller (p. 230) trouve dans l’exposition de la cosmogonie d’Empédocle et qu’Aristote se croyait déjà en droit d’indiquer. Si en effet on les a bien comprises, on reconnaîtra facilement qu’il n’y a nullement correspondance, au point de vue de la possibilité d’existence des êtres individuels, entre la période où grandit l’empire du Neîkos et celle où, au contraire, se développe la sphère de la Philotès.

Dans la première de ces périodes, un cosmos, un monde semblable au nôtre est absolument impossible ; le point de départ est le Sphéros homogène ; tout ce que gagne le Neikos est dissocié, résolu dans les éléments primordiaux ; tout ce que conserve la Philotès reste homogène. Toute combinaison nouvelle que pourrait former le hasard entre les éléments isolés serait nécessairement instable.

Il faut que la dissolution du Sphéros soit arrivée à son plein achèvement, pour que l’Amour, qui jusque-là se concentrait vainement dans les débris de son domaine primitif, puisse rentrer en lutte dans des conditions favorables ; il reprend alors peu à peu à la Haine les éléments dissociés ; mais, les rencontrant en diverses proportions, il en forme dès lors diverses combinaisons stables qui exercent entre elles des attractions secondaires, d’après leurs similitudes ; de la sorte le cosmos peut s’organiser comme forme durable en fait, quoiqu’au fond transitoire et destinée à passer à l’homogénéité du Sphéros.