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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/372

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la folie toxique plus durable qui résulte de l’alcoolisme chronique, c’est-à-dire de l’abus non plus accidentel, mais habituel et prolongé de l’alcool, mais la folie toxique suraiguë (delirium tremens) qui résulte d’excès alcooliques dans le cours de l’alcoolisme chronique entraînent devant la loi actuelle l’irresponsabilité du criminel.

Cette contradiction flagrante indique au moins que le législateur a soupçonné qu’il n’est pas bon de protéger indéfiniment le crime sous prétexte de dégénérescence, qu’elle soit d’origine toxique ou autre, et qu’il est quelquefois juste, d’une manière générale, de défendre la société contre les actes nuisibles, abstraction faite de l’état mental de leurs auteurs. C’est là un fait de la plus haute importance, parce qu’il peut servir à appuyer la nécessité des réformes du droit pénal et du droit civil.

À l’époque où Georget entreprenait la « conquête » de l’impunité pour les monomanes, on reprochait aux médecins de s’entendre fort mal sur les frontières de la folie[1]. Aujourd’hui, on pourrait leur reprocher de chercher à s’entendre sur les frontières du libre arbitre[2].

Nous voyons donc que, si la distinction du criminel au point de vue biologique est fort difficile à établir, non seulement avec le malade, mais encore avec l’homme sain, qui porte en germe les éléments de tous les vices et de tous les délires, il est impossible de se baser sur un caractère biologique pour justifier une limite ou des degrés dans la responsabilité.

Ces difficultés de légitimer la peine et de l’appliquer font soupçonner que la peine n’est peut-être pas le moyen le plus naturel pour éviter le mal. Il est certain que l’intérêt privé n’a pas sa satisfaction la plus complète dans le châtiment de celui qui a commis l’acte nuisible ; pour que cette satisfaction existât, il faudrait que le châtiment comprît la réparation intégrale du préjudice, ce qui n’a presque jamais lieu. Il est bien établi d’autre part que les peines ne réussissent en général ni à amender les coupables ni à arrêter la multiplication des criminels, elle ne satisfait donc pas non plus l’intérêt public qui participe de toutes les pertes privées.

Non seulement la peine ne remplit pas le but qu’elle doit se pro-

  1. Elias Regnault, — Du degré de compétence des médecins dans les questions judiciaires, in-8o, 1828.
  2. « Un séjour de vingt-sept ans parmi 1200 condamnés nous a convaincu que chez presque tous, si ce n’est sur la totalité, le libre arbitre a subi une pression contre laquelle il n’a pu lutter avec succès. » Tandis que M. Boileau de Castelneau (De l’épilepsie dans ses rapports avec l’aliénation mentale, considérés au point de vue médico-judiciaire, 1852) refuse en ces termes le libre arbitre aux criminels, M. Dally est porté à accorder le même libre arbitre aux aliénés criminels et aux criminels réputés sains d’esprit.