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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/388

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Notons ici un fait important dans le mécanisme de l’attention. Cette intermittence réelle dans une continuité apparente rend seule possible une longue attention. Si nous tenons un de nos yeux fixé sur un point unique, au bout de quelque temps la vision devient confuse, il se forme comme un nuage entre l’objet et nous et finalement nous ne voyons plus rien. Si nous posons notre main à plat, immobile, sur une table, sans appuyer (car la pression est un mouvement), peu à peu la sensation s’émousse et finit par disparaître. C’est qu’il n’y a pas de perception sans mouvement, si faible qu’il soit. Tout organe sensoriel est à la fois sensitif et moteur. Dès qu’une immobilité absolue élimine l’un des deux éléments (la motilité), la fonction de l’autre est bientôt mise à néant. En un mot, le mouvement est la condition du changement, qui est une des conditions de la conscience. Ces faits bien connus, d’une expérience vulgaire, nous font comprendre la nécessité de ces intermittences dans l’attention, souvent imperceptibles à la conscience, parce qu’elles sont très courtes et d’un ordre très délicat.

II

Les manifestations physiques de l’attention sont nombreuses et d’une très grande importance. Nous allons les passer en revue minutieusement, en prévenant d’avance que nous les considérons moins comme les effets de cet état de l’esprit que comme ses conditions nécessaires, souvent même comme ses éléments constitutifs. Cette étude, loin d’être accessoire, est donc pour nous capitale. Pour obtenir une conception quelque peu nette du mécanisme de l’attention, il n’y a pas à chercher ailleurs. Elle n’est, en définitive, qu’une attitude de l’esprit, un état purement formel : si on la dépouille de tous les accompagnements physiques qui la déterminent, qui lui donnent un corps, on reste en présence d’une abstraction pure, d’un fantôme. Aussi ceux qui n’ont parlé de l’attention que d’après l’observation intérieure, sont restés muets sur son mécanisme et se sont bornés à célébrer sa puissance.

Il faut toujours avoir présent à la mémoire ce principe fondamental : Tout état intellectuel est accompagné de manifestations physiques déterminées. La pensée n’est pas, comme beaucoup l’admettent encore par tradition, un événement qui se passe dans un monde suprasensible, éthéré, insaisissable. Nous répéterons avec Setchenoff : « Pas de pensée sans expression » ; c’est-à-dire la pensée est une parole ou acte à l’état naissant, c’est-à-dire un commencement d’activité musculaire. Les formes sensorielles de l’attention témoi-