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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/619

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ADAM.pascal et descartes

enchéri par-dessus ces premières observations, et qui aurait quantité de choses à dire, traiterait tout cela dignement et à plein fond ».

Cet intime était « M. Pascal le jeune, digne fils d’un illustre père ». En voyant une expérience si nouvelle, il avait montré d’abord, non pas un subit engouement ni un enthousiasme irréfléchi qui accepte tout de confiance, mais une prudente réserve et beaucoup de circonspection. Son père l’avait habitué de bonne heure à ne recevoir que les vérités bien évidentes, et, jusqu’à ce qu’elles soient devenues telles, à suspendre son jugement. Pascal faisait donc quelques objections : peut-être cet espace, qui paraissait vide, ne l’était pas en réalité ; l’air, plutôt que de laisser un vide se produire, avait pénétré dans le verre, en entrant par ses pores. Mais, répondait Petit, pourquoi n’en pénètre-t-il pas davantage, et pourquoi le vif-argent ne tombe-t-il pas entièrement ? outre que le verre n’est point pénétrable à l’air. Ils se demandèrent toutefois si une petite quantité d’air, ne fût-elle grosse que comme la tête d’une épingle, ne pouvait être demeurée au fond du tuyau, ou entrée avec le vif-argent lorsqu’on le versait, ou apportée avec le doigt quand on mettait celui-ci sur l’extrémité ouverte. Leur première pensée fut aussi que, si le vif-argent ne descendait pas plus bas, c’est que la nature ne pouvait souffrir un plus grand vide, ou, pour ceux qui n’admettent point le vide, une plus grande raréfaction ; mais ils renoncèrent vite à cette explication : car, bien que l’on haussât et baissât tour à tour le tuyau, la hauteur du vif-argent restait la même, et le vide, par contre, devenait à volonté ou plus grand ou plus petit. Ils raisonnèrent ainsi longuement sur ces faits mystérieux, et l’esprit de Pascal garda de cette journée comme une excitation, qui ne lui permit plus de demeurer en repos, jusqu’à ce qu’il eût enfin trouvé réponse à tant de difficultés.

Il imagina donc de nouvelles expériences, « très différentes de celle-là », et pour lesquelles il se servit non seulement de vif-argent, mais de toutes sortes de liqueurs[1], comme eau, huile, vin, etc., et même l’air, et où il remplaçait le tuyau assez petit, qui avait suffi d’abord, par d’autres de toutes longueurs et de toutes dimensions. En outre, comme pour provoquer des objections instructives, il fit ses nouvelles expériences devant plus de cinq cents personnes de toutes conditions, entre autres devant cinq ou six Pères jésuites du

  1. Pascal emploie le mot liqueur pour désigner l’air aussi bien que l’eau, le vin, le mercure, etc. De même, parlant de la mécanique, de l’arithmétique et de la géométrie, ce dernier nom, dit-il, appartient au genre (les trois sciences mathématiques) et à l’espèce (la géométrie proprement dite). Liqueur désigne ici tout le genre des fluides, et, parmi ses espèces, les liquides.