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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/624

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estime qu’il avait ouï faire de son père et de lui. » D’autre part, un ami de Pascal, Adrien Auzout, dans une lettre de Rouen, lui écrivit de demander au philosophe son avis sur les nouvelles expériences, et, en particulier, sur la cause qui maintient le vif-argent suspendu dans le tuyau ; enfin pourquoi Descartes n’admettait-il pas la pesanteur et pression de l’air, ou, suivant le mot alors en usage, « de la colonne d’air », comme si une colonne d’air jusqu’au haut de l’atmosphère faisait équilibre à la colonne de vif-argent. Donc Pascal admettait déjà cette explication avec au moins un de ses amis. Mais Descartes l’admettait également, leur répondit Mersenne[1].

Ce Père, aidé de M. de Montmort, ménagea l’entrevue entre nos deux personnages. Descartes vint voir deux fois Pascal malade, le 23 et le 24 septembre. Le lendemain même Jacqueline Pascal, qui écrivait pour son frère et peut-être sous sa dictée, envoya à Mme Périer, leur sœur, un récit de ce qui s’était passé.

Descartes parla d’abord de la machine d’arithmétique : Roberval (que Jacqueline avait fait prier d’assister à l’entrevue) la fit jouer devant lui. Puis la conversation se mit sur le vide. Descartes, à qui on demandait ce qui entrait dans une seringue dont on tirait le piston en tenant l’autre extrémité bouchée, répondit que c’était de la matière subtile. À cela Pascal dit ce qu’il put. Mais Roberval prit la parole à sa place avec un peu de chaleur, et Descartes répondit avec un peu d’aigreur. Tous deux s’en allèrent là-dessus dans le même carrosse, « et là, ils se chantèrent goguettes un peu plus fort que jeu ».

Jacqueline ne dit pas si dans l’entretien on parla de la cause du phénomène et des moyens de la vérifier. Il y avait, en effet, deux questions fort différentes : l’une, de savoir si le haut du tube est vide absolument ou bien en apparence ; l’autre, quelle est la cause qui maintient le vif-argent ainsi suspendu. La première, qui était surtout métaphysique, passionnait les philosophes de profession ; seule la seconde avait un intérêt scientifique et pouvait se résoudre d’une manière positive. Mais on les mêlait sans cesse et on les confondait toutes deux. Sur la seconde, Descartes et Pascal se seraient trouvés d’accord, puisque Pascal fait demander à Descartes pourquoi il n’admet pas la colonne d’air, et que le P. Mersenne lui répond qu’au contraire Descartes l’admet. Mais, sur la première, ils ne pouvaient s’entendre, pour des raisons qui tenaient à leurs habitudes d’esprit, et qui, si on les examine de près, montrent bien ici

  1. Lettre de Jacqueline Pascal à Mme Périer, du 25 sep. 1647 (Lettres, opuscules et mémoires des sœurs de Pascal, etc., édit. Faugère, 1845, p. 311).