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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/635

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REVUE GÉNÉRALE.psychologie criminelle

et, par suite, la facilité ou la difficulté d’y gagner sa vie et celle de sa famille : voilà les vraies causes des unions et des paternités précoces ou tardives. Si, dans le sein d’un peuple trop dense, la découverte d’un nouveau produit alimentaire, l’invention d’un nouveau métier ou l’ouverture d’un nouveau débouché, viennent à rendre l’existence matérielle plus facile, on ne tardera pas à s’y marier plus tôt qu’auparavant. Je parle, bien entendu, de ceux qui bénéficieront de la découverte ou de l’invention dont il s’agit ; les autres, bien que portés à les imiter sans avoir les mêmes raisons, les suivront en retardataires sur la voie de l’hymen et de la paternité. Tels sont sans doute les parents des criminels. Et, s’il en est ainsi, encore une fois, plus vous m’en direz, plus vous me ferez plaindre le malfaiteur, dans lequel il me sera impossible de voir autre chose qu’un malheureux, un perdant à la loterie sociale.

Ainsi la cause que Marro indique est d’ordre vital, soit, mais s’explique par des raisons d’ordre supérieur. Et ce n’est pas seulement ici qu’il arrive à l’auteur de méconnaître le côté social des faits découverts par lui. D’après une de ses statistiques, les ascendants des délinquants présentent, 77 fois sur 100, des anomalies morbides ; pourtant le nombre de ceux d’entre eux qui ont commis des délits est extrêmement faible. Mais, très fréquemment, les délinquants ont des frères délinquants. D’où l’auteur conclut qu’une même cause héréditaire, physiologique, a poussé ensemble au crime les enfants d’un même lit. C’est possible, mais pourquoi n’accorder ici aucune influence à la communauté d’éducation ? — On attribue souvent, dit-il encore, un fait à des causes sociales, tandis que des causes naturelles sont seules en jeu : par exemple, la séparation des époux, condition de mauvaise éducation pour les enfants, est réputée cause sociale ; et cependant j’ai trouvé que, sur 72 mariages suivis de ruptures où il m’a été donné d’étudier à fond les conjoints, toujours, sauf neuf fois, l’un des deux conjoints était affecté d’aliénation manifeste ou latente. — Je répondrai en rappelant simplement l’action indéniable des mœurs, des coutumes, des croyances, des lois, des événements historiques, sur le développement de la folie qui, dans son progrès parallèle à celui du suicide, est fonction, comme celui-ci, de la civilisation ou plutôt des fièvres de croissance de la civilisation. Si donc il est bon de remarquer que le trouble cérébral de l’un des époux est ce qui rend souvent la vie commune impossible, il n’est guère permis d’oublier que cette altération du cerveau est en grande partie l’écho et l’effet, la répercussion et la résultante des crises politiques ou économiques, ou, comme on dit, du malheur des temps. — Sous le bénéfice de ces réserves, mentionnons la constatation suivante : les délinquants se marient moins que les honnêtes gens, et leurs unions sont bien plus fréquemment suivies de ruptures ; quand il n’y a pas d’enfants, la proportion des séparations ou des divorces s’élève à 47 fois sur 100. Si ce qui vient d’être dit est vrai, ce résultat a une certaine signification et fortifie la thèse du criminel aliéné, du criminel malade.

Il faut rendre d’ailleurs cette justice au savant aliéniste que sa prédi-