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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/644

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dant que l’école transformiste affecte le mépris des précédents et néglige l’histoire. Ce contraste pourtant est-il aussi étrange qu’il en a l’air ? Non. Bien que nos évolutionnistes soient des révolutionnaires en droit pénal et rompent brusquement le cours de l’évolution historique des idées, ils ne se mettent point en contradiction avec leur principe fondamental. Le courant évolutif, en effet, auquel se rattachent leurs doctrines, ce n’est pas le développement traditionnel dont il s’agit, le déroulement d’idées transmises de génération en génération sur la foi d’autrui, avec de lentes modifications apportées par la réflexion s’exerçant sur les données de la tradition ; mais c’est cette suite séculaire d’observations et d’expériences, vérifiées, accumulées, qui ont fait peu à peu les sciences naturelles, bientôt la science sociale. S’ils apportent quelque chose de positif, comme M. de Aramburu le reconnaît, cela tient précisément à ce qu’ils ont regardé la réalité face à face, sans interposition de prismes hérités du passé, mais avec l’aide de microscopes lentement construits. D’ailleurs, ils ne sont pas sans s’intéresser aux ébauches de leurs vrais prédécesseurs, comme la partie historique du livre de M. Marro en fournit la preuve. L’école de Beccaría, sans doute, était mieux pourvue d’érudition ; mais aussi notre auteur la compare-t-il fort bien à Minerve qui naquit tout armée et nullement outillée, pulvérisant ses adversaires et n’édifiant rien. L’école nouvelle, elle, cherche à bâtir.

Mais qu’a-t-elle à bâtir ? Pas grand’chose, si nous en croyons le savant professeur. D’abord, il défend l’école classique contre Ferri du reproche d’avoir, par préoccupation exclusive du délit, oublié le délinquant. Seulement, dit-il, elle s’est moins occupée du délinquant que de l’homme et n’en a pas fait un homme à part. Dans sa conférence sur le délit, je remarque surtout la critique relative à la théorie du délit naturel si brillamment exposée par Garofalo dans la Revue philosophique. Cet auteur, du reste, est l’adversaire de prédilection du savant professeur espagnol. Il est supérieur à ses collègues parce que, « moins inflexible, il ne leur cède en rien par la force dialectique et l’ingéniosité féconde ». Il est le plus raisonnable, mais il ne l’est que moyennant des inconséquences. Par sa conception du délit naturel, il essaye de concilier le rationalisme avec l’évolutionnisme, de jeter l’ancre dans le courant de l’être mobile et continu ; mais son essai est infructueux, car il s’appuie sur ce qu’il y a de moins fixe au monde, sur le sentiment et non sur le droit. Il définit, en effet, le délit la violation des sentiments de pitié d’abord, de justice ensuite, et non la négation du droit. Entre autres objections, M. de Aramburu, très finement, combat par un exemple historique l’ordre de succession établi par l’auteur de la Criminologie entre les deux sentiments en question. Les antiques fueros punissent de mort le simple vol, et aussi le seul fait d’être insolvable, tandis que l’homicide, dans cette vieille législation édictée à une époque de guerres continuelles contre les Maures, est puni d’une petite amende ou absous si le coupable se soustrait aux poursuites pendant neuf jours. Ainsi,