Aller au contenu

Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/654

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
650
revue philosophique

des groupes nombreux de phénomènes. Ces lacunes considérables servaient de refuge aux théories théologiques ou métaphysiques, mais elles ne sauraient être confondues avec ces théories, pas plus que le contenant ne peut être confondu avec le contenu ou la cause avec l’effet. » (P. 205.) En définitive, cela revient à dire que M. de Roberty n’appelle science que le savoir positif et non les hypothèses théologiques ou métaphysiques faites à propos de choses qui doivent être un jour dans le domaine du savoir positif. La théorie de l’horreur du vide par exemple n’a jamais fait partie de la science, mais de la métaphysique. Ainsi entendue, la thèse de M. de Roberty parait incontestable, mais peu utile ; la question est de savoir si les connaissances positives déterminaient l’évolution des idées générales ou si au contraire l’évolution des idées générales déterminait l’interprétation de l’expérience. Il semble que les deux influences sont réelles. Au fond, c’est la question de l’empirisme et du nativisme qui se débat en cette occasion. Sont-ce les sens qui déterminent le fonctionnement de l’intelligence ? est-ce l’intelligence qui détermine l’interprétation des données des sens et leur donne une forme ? Comme le premier homme — ou le premier animal auquel on puisse donner ce nom avec quelque raison — avait certainement un cerveau et les organes du raisonnement, il semble bien que l’expérience d’un côté, la réflexion, l’imagination de l’autre, ont contribué simultanément à l’évolution des idées scientifiques et philosophiques. L’hypothèse psychologique est donc, en soi, légitime ; si les lois de l’esprit humain et de son évolution étaient bien connues, on pourrait certainement leur faire jouer un rôle des plus in portants dans l’évolution des conceptions générales. Que cela soit prématuré, je n’y contredis pas, bien qu’on puisse sans doute apercevoir déjà quelques parties de la vérité. Toutefois il résulte de cela même que la thèse de M. de Roberty renferme au moins une grande part de vérité.

III. — J’aurais voulu insister encore sur quelques points du livre de M. de Roberty, par exemple l’avenir de la religion et de la métaphysique, sur les nouveaux systèmes de philosophie scientifique. L’auteur émet sur tous ces points des idées intéressantes, ingénieuses et nullement banales ni superficielles ; mais je ne puis m’arrêter ici sur tout ce qui le mériterait. Disons seulement que dans ses conclusions l’auteur oppose la philosophie des sciences, qui se borne à suivre la science, à en coordonner les résultats, aux systèmes plus ambitieux qui veulent la précéder et la guider. Les systèmes de philosophie scientifique font trop emploi de la méthode à priori ; ils forment un degré de transition entre la métaphysique et la philosophie des sciences. Ils ont à présent une prépondérance qu’ils pourront garder quelque temps. L’unité hypothétique et absolue de l’univers semble être appelée à rester quelque temps encore un mirage qui détournera les meilleurs esprits du véritable but de la philosophie, de la coordination systématique des résultats généraux des sciences particulières et de leur transformation en une conception de l’univers, variable d’une époque à l’autre, puisqu’elle