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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/79

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LE MONISME DE MÉLISSOS


I. Si l’on s’attache, non pas à la tradition, mais au texte des fragments qui nous restent des premiers philosophes grecs, le véritable fondateur du monisme transcendantal[1] n’est ni Xénophane, ni Parménide, mais bien un penseur dont le rôle est généralement considéré comme secondaire, Mélissos de Samos.

J’ai déjà essayé de le montrer : Xénophane n’est qu’un poète, Parménide est encore un physiologue. Non seulement Mélissos est avant tout un logicien, mais il s’oppose nettement aux physiciens[2] et il ne cherche d’ailleurs à les imiter en rien ; l’explication des phénomènes de la nature est un sujet qu’il n’aborde pas.

Zénon d’Élée avait déjà montré quel usage on pouvait faire de la dialectique ; mais il s’en était servi surtout pour réfuter des opinions d’adversaires, non pour mettre en lumière les siennes propres. Mélissos a su construire des thèses qui lui appartiennent, en réalité, toutes dans leur forme, et les plus importantes dans leur fond ; il a surtout su faire de ces thèses un ensemble complet et systématique, et si c’est moins à l’originalité des idées qu’à la puissance de coordination que l’on doit estimer un penseur, il mérite, sans aucun doute, un des premiers rangs.

On le regarde comme un disciple des Eléates ; aucun témoignage positif n’atteste qu’il ait jamais eu des rapports directs avec Parménide ou avec Zénon. Sans doute, il a connu leurs écrits et a subi par là leur influence ; mais son originalité éclate, non seulement dans le caractère des thèses particulières qu’il soutient, mais surtout dans la nouveauté de sa conception générale et la précision de ses formules.

L’Être de Parménide est un corps sphérique limité ; les arguments de Zénon supposent toujours l’intuition de l’étendue : Mélissos la rejette :

Fr. 16 : « Si l’Être est, il faut qu’il soit un ; étant un, il ne peut être

  1. J’adopte cette expression pour désigner le système philosophique que l’on attribue d’ordinaire aux Éléates ; le terme d’idéalisme me paraît trop vague pour une doctrine précise, et il a de plus l’inconvénient, quand on l’applique à l’antiquité, de prêter à confusion avec les théories platoniciennes.
  2. Fr. 1 (Mullach, édit. Didot) : συγχωρέεται γὰρ καὶ τοῦτο ὑπὸ τῶν φυσικῶν.