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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/82

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l’argumentation de Mélissos, la quantité d’être est invariable. La science moderne postule le même principe pour la masse, pour la quantité de mouvement et enfin (avec moins d’unanimité toutefois) pour la quantité de l’énergie cinétique, c’est-à-dire pour trois formes différentes dans la manière d’être des phénomènes.

Que l’origine de ces postulats soit empirique, nul doute, mais que l’expérience suffise à les justifier directement ou indirectement, personne ne peut essayer de le soutenir. Leur véritable raison d’être se trouve dans la condition même imposée à la science par le concept de causalité ; la science n’existe que si elle peut retrouver, dans les circonstances antérieures du phénomène, l’équivalence des circonstances postérieures ; la science n’est complète que si la forme de cette équivalence est précisée mathématiquement. La nécessité à cet égard est telle que, des cas où l’équivalence apparaît réellement (est justifiée par l’expérience), on passe sans scrupule (comme pour l’énergie cinétique) à considérer des équivalences virtuelles ou potentielles.

De cette nécessité imposée à la science est inévitablement résultée l’affirmation de l’invariabilité pour les trois formes mathématiques les plus abstraites sous lesquelles on ait jusqu’à présent précisé la manière d’être des phénomènes. Cette triple formule est relativement récente, puisque les anciens n’avaient guère pressenti que la première forme, mais qu’ils n’avaient pas su la définir d’une façon réellement mathématique. Il ne faut pas croire d’ailleurs que cette triple loi soit nécessairement définitive en ce sens que d’autres invariabilités ne pourraient être de même formulées dans l’avenir. Car elle n’embrasse l’univers qu’au point de vue mécanique, et avec la corrélation reconnue entre les forces physiques, avec la distinction entre le potentiel et l’effectif, on conçoit, comme au moins possible, l’établissement de formules d’invariabilité analogues concernant la chaleur, la lumière ou l’électricité, par exemple.

IV. Si ces remarques sont justes, si le caractère de la nécessité indiquée est vraiment a priori, on comprend que ce ne soit point en réalité une vaine recherche que celle qui tendrait à découvrir la marche dialectique la plus satisfaisante pour déduire, sous la forme la plus abstraite et la plus générale, les conséquences de cette nécessité. Ce serait incontestablement de la métaphysique, mais la science ne pourrait s’en désintéresser. À ce point de vue, il est équitable de reconnaître, malgré les défauts dont elle est entachée, l’importance de la première thèse de Mélissos.

Aux deux thèses suivantes, l’infinitude de l’Être et son unité, correspondent de même des postulats bien connus de la science moderne.

En premier lieu, chacune des trois formes de quantité d’Être qui ont été précisées mathématiquement, apparaît, si on prétend l’évaluer, comme étant illimitée ; à la vérité, le concept de l’infinitude offre assez de difficultés pour que de bons esprits, tout en la reconnaissant comme relative, la nient pour la matière, en tant qu’absolue. Je ne veux