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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/141

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ch. dunan. — le problême de la vie

unique une pluralité d’objets, telle que, par exemple, l’unité d’un tas de pierres ; puis cette unité plus réelle qui résulte quelquefois d’une coordination de certains éléments entre eux, et d’une concordance de leurs mouvements pour la réalisation d’une fin déterminée, telle que, par exemple, l’unité d’une armée ou celle d’une compagnie de chemins de fer. Mais l’unité de l’être vivant est autre chose que tout cela. Ce n’est pas l’unité absolue d’un pur esprit excluant toute multiplicité et tout devenir, car une pareille unité n’est pas de ce monde ; et du reste, il est bien évident que la multiplicité est inhérente à la nature du vivant. Ce n’est pas davantage l’unité de coordination, puisqu’une telle unité suppose avant elle les éléments par lesquels elle se réalise. Quant à l’unité de simple agglomération, il est clair qu’il n’en faut point parler. Dès lors il ne reste plus qu’une manière possible de concevoir l’unité de l’être vivant, c’est de la concevoir comme une unité primordiale, et véritablement substantielle, sans antécédents et sans causes, et dont pourtant la loi fondamentale est de se déployer à l’infini à travers le temps et l’espace sous la forme d’un corps organisé et vivant, embrassant dans ses limites l’univers total.

Mais quelle sera la nature de cette unité substantielle ? Il y a là, on le comprend, un point de première importance, et sur lequel il est nécessaire de s’expliquer avec netteté. Généralement les philosophes qui croient à la réalité d’une substance une et indivisible font de cette substance une sorte d’entité métaphysique plus ou moins distincte, et même séparable du corps. Une pareille solution ne saurait être la nôtre. Que l’on admette en effet, sous le nom d’âme, l’existence d’une entité métaphysique conçue comme hétérogène au corps, et distincte de lui, alors il y aura lieu de se demander si elle s’en distingue en totalité ou en partie. Si elle se distingue du corps en totalité, elle est sur lui sans action, attendu que l’on est toujours quelque peu homogène à ce sur quoi l’on agit par conséquent, elle ne sert à rien. Qu’elle s’en distingue en partie seulement, c’est bien difficile à admettre ; car comment concilier avec l’unité qui fait son essence cette existence mi-partie phénoménale et mi-partie transcendante ? Mais ce parti désespéré ne résout même pas la difficulté ; car, en tant qu’elle agit sur le corps et qu’elle s’identifie avec lui, l’entité métaphysique prend le caractère phénoménal, et disparaît comme entité ; en tant qu’elle demeure en soi, et qu’elle reste distincte du corps, elle est sans action sur lui, et par conséquent, inutile. Donc nous n’avons pas à chercher en dehors ou au de)à du corps vivant l’unité substantielle dont ce corps procède, et dont il n’est que la diffusion à travers le temps et l’espace. Cependant nous ne devons pas perdre