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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/148

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Quoi qu’il en soit, si la durée et l’étendue sont finies, en ce sens qu’elles ont des limites, elles n’en sont pas moins infinies en ce sens qu’elles enveloppent une multiplicité sans fin d’éléments ou de parties assignables. Nous voyons donc, dans la nécessité qui nous contraint à les concevoir comme des unités, une confirmation nouvelle de ce principe posé plus haut, et dont l’application est universelle, que toute multiplicité indéfinie, et par là même non totalisable, est une unité antérieure et supérieure à ses parties, lesquelles sont en elle mais ne la composent pas. De plus, nous voyons bien maintenant pourquoi la nature du temps et de l’espace, loin d’impliquer soit le mécanisme pur de Descartes, soit le mécano-téléologisme de Leibniz, exclut au contraire ces deux conceptions, qui supposent l’une comme l’autre la composition de l’étendue et de la durée ; et nous comprenons qu’elle nous impose, au sujet de la vie, une conception radicalement différente, dans laquelle le vivant constituera ses organes, au lieu d’en résulter. Mais la considération de la nature du temps et de l’espace n’est pas bonne seulement à nous faire entrevoir la vraie solution du problème de la vie elle ne nous conduit pas jusqu’à cette solution en nous laissant au seuil elle nous fait pénétrer jusqu’au fond même de la question, et, sans nous en livrer peut-être le dernier mot, elle nous prépare à le comprendre. Nous ne pouvons donc mieux faire que de poursuivre nos investigations de ce côté.

Nous avons vu que toute étendue et toute durée sont unes avant d’être multiples. Pour ce qui concerne d’abord la durée, une réflexion s’impose à ce sujet, c’est que l’unité de la durée en implique la simultanéité c’est-à-dire qu’une durée d’une heure, par exemple, en tant qu’elle est une, n’admet point de successions. Ce point paraîtra sans doute difficile à accorder ; pourtant il est essentiel, et la théorie que nous proposons ne peut être acceptée et comprise que dans la mesure où il est accepté et compris. Nous allons donc faire tout le possible pour nous expliquer clairement à ce sujet.

Nous disons que toute durée est nécessairement une, et que, en tant qu’elle est une, elle est simultanée. Cela signifie-t-il que des durées simultanées se juxtaposent et se suivent pour former le temps avec son cours ? Cette manière d’envisager la durée et ses rapports avec le temps est celle à laquelle on est inévitablement conduit lorsque l’on considère le temps comme essentiellement successif, et par suite, comme composable ; car, sentant bien qu’on ne peut le composer avec des instants indivisibles, qui sont des néants de temps, on tendra à le composer avec des durées, auxquelles il faudra bien attribuer l’unité qui convient à des éléments véritables, c’est-à-dire