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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/17

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ch. dunan. — le problème de la vie

ou comment sombra le Président ; que, comme l’astronome prédit le jour où, après de longues années, une comète revenue des profondeurs de l’univers doit reparaître à la voûte céleste, de même ce génie lirait dans ses équations le jour où la croix grecque brillera de nouveau sur la mosquée de Sainte-Sophie, le jour où l’Angleterre brûlera son dernier morceau de houille[1]. »

Dans cette conception brillante on reconnaîtra, ce nous semble, si l’on veut bien y réfléchir, une grande part d’erreur et d’illusion. Sans parler même de la mécanique universelle, la mécanique des astres seuls ne répond nullement à l’idéal tracé par Du Bois-Reymond. Partons, en effet, de la considération du réel, pour avoir un point d’appui solide. Nous devons reconnaître d’abord que, si la mécanique céleste se constitue comme théorie, c’est à la condition de réduire, de simplifier les problèmes dont elle s’occupe, et par suite, de négliger une partie des éléments qui devraient y figurer. Tous ces mouvements des astres que l’astronome est obligé de traiter comme simples, au moins relativement, sont au contraire d’une complexité infinie, parce que la somme des causes qui agissent pour les produire est elle-même infinie. Mais, heureusement, ils se prêtent à une simplification nécessaire pour la science. Les influences exercées sur un astre par les astres appartenant à des systèmes différents étant très petites en raison des distances, et d’ailleurs ces influences se neutralisant en partie, parce qu’elles s’exercent en sens contraire les unes des autres, l’astronome peut se contenter de rattacher la marche de l’astre qu’il considère à un nombre limité de causes dont l’action est absolument prépondérante, et peut être déterminée en négligeant toutes les autres, dont l’action est infime par rapport à celles-là. Voilà comment la mécanique céleste est rendue possible il faut que la science s’y résigne à n’y considérer les choses qu’en gros, et que la nature même lui donne le moyen de les considérer ainsi. Si au contraire la science vise à l’exactitude rigoureuse, elle se détruit elle-même, parce qu’elle s’impose la tâche irréalisable de faire entrer l’infini dans ses calculs.

On répondra à cela que ce qui est irréalisable pour l’homme n’est pas pour cela irréalisable en soi, et que jamais on n’a prétendu faire du mécanisme l’objet d’une science humaine, mais seulement d’une science idéale. Sans doute, mais ce n’est pas seulement la science humaine du mécanisme qui est une conception chimérique, c’est encore la science idéale : Il est facile de le

  1. Voir Lange, Histoire du matérialisme, t.  II, p. 151).