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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/183

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j.-m. guardia. — philosophes espagnols de cuba

clause de son testament attribue ses livres (6,000 volumes) à la Société patriotique. C’était les soustraire à la confiscation et en assurer la jouissance au public.

Le lendemain de son décès, le gouverneur général de Cuba, D. Francisco Serrano, publia un décret ordonnant des funérailles officielles à cet homme indépendant qui n’avait jamais songé, comme l’a dit Proudhon, de Béranger, à se ménager un bel enterrement. Plus de six mille personnes suivaient le convoi. Le corps fut porté au cimetière, par les amis et les disciples du défunt ; aucun discours ne fut prononcé sur sa tombe. Le même gouverneur interdit les journaux qui firent l’éloge du mort et empêcha la publication d’articles nécrologiques. Le 19 mai 1865, l’Académie royale des sciences médicales, physiques et naturelles de la Havane put enfui rendre hommage au plus illustre de ses membres, par l’organe du Dr Zambrana, en séance publique. La censure veillait et l’ombre de Luz inquiétait le pouvoir des proconsuls.

Ce n’est que depuis quelques mois que les Cubains ont commencé à payer leur dette au philosophe original et à l’incomparable éducateur, en recueillant ses œuvres éparses dans des feuilles quotidiennes, des revues, des programmes d’enseignement. Voilà le monument le plus digne du grand patriote, le seul qui puisse rendre justice à sa mémoire. Il pensait, parlait et écrivait avec une rare originalité. Sa formule favorite était l’aphorisme qui condense la pensée sans phrases. Il s’en servait volontiers pour exprimer ses convictions et ses doutes. Ces propositions brèves et concises rappellent souvent les pensées de Marc-Aurèle, quelquefois celles de Pascal, et aussi les problèmes d’Aristote. L’expression a la propriété, la justesse, le tour original et l’imprévu qui vient de la profondeur. La logique n’est jamais en défaut. La probité et la conscience ont dicté toutes ces sentences empreintes du cachet d’une haute raison, et parfois d’un esprit caustique. Voyez comme il se moque des contradictions, des rodomontades, de l’érudition et de la rhétorique de Cousin et des sottises plus solennelles de Jouffroy, la insulsa doctrina de M. Jouffroy sobre el yo observando al yo por medio del yo. Nul ne fut moins dupe de ce charlatanisme de l’art qui affecte de donner les apparences de l’éloquence et du savoir à la disette mentale : no, mil veces no la erudicion no es filosofia, el estilo no es filosofia.

L’éloquence du philosophe éclatait dans les discours d’ouverture et de clôture de ses cours, dans les solennités scolaires, où il improvisait avec la confiance que donne une longue préparation, et particulièrement dans ces conférences familières (plàticas) qu’il avait l’habitude de faire à ses élèves les jours de sortie. Point d’arguties, rien de trop ingénieux, une facilité merveilleuse, avec une extrême sobriété et une simplicité attique. Quoiqu’il eût le titre d’avocat, il détestait la chicane. Au lieu de se défendre, quand il fut accusé, il se borna à poser des conclusions, en se fiant à l’équité des juges. Son habitude était de se