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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/21

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ch. dunan. — le problème de la vie

dans les questions philosophiques ne l’ignore ou n’en doute ; mais si la chose en elle-même est bien comprise, il n’en est peut-être pas tout à fait de même pour la raison qui la fonde. Voici cette raison, telle que nous croyons l’apercevoir. Tout mouvement suppose une masse mue. Or une masse, en tant qu’elle est telle, et qu’elle est emportée d’un seul et même mouvement, est une unité, au sens le plus littéral et le plus absolu du mot car elle se meut exactement comme si elle était concentrée tout entière en son centre de gravité. Il suit de là que si le mouvement est possible, c’est uniquement dans l’atome, non pas dans l’atome de la chimie moderne, qui n’est qu’un point d’arrêt nécessaire dans la régression de l’esprit vers les éléments, mais dans l’atome véritable, celui de Démocrite et d’Épicure, parce que c’est celui-là seul qui possède l’unité de masse que le mouvement requiert. Tout corps qui se meut est, en tant qu’il se meut, un atome : et s’il était besoin d’une confirmation à cette vérité incontestable, il nous suffirait de rappeler le principe de mécanique suivant lequel le mouvement d’un corps est indépendant des mouvements intestins qui se produisent en lui ; de sorte que, par exemple, un homme tombant dans le vide agite les bras et les jambes sans que le centre de gravité de son corps dévie de la verticale. Or le principe de la connexion universelle des phénomènes exclut l’existence d’atomes, par la raison qu’il exclut l’autonomie à un titre quelconque, sous une forme quelconque, d’une portion quelconque de la matière universelle, etqu’un atome c’est précisément une portion de la matière se constituant une existence, au moins à quelques égards, indépendante de tout le reste. Par conséquent, si le mouvement existe dans le monde, c’est à la condition de demeurer en dehors de la loi fondamentale qui rend tous les phénomènes de l’univers connexes entre eux ; ce qui implique qu’il est lui-même, non pas un phénomène primordial dans l’ordre de la nature, mais au contraire un phénomène dérivé, relatif, ayant son fondement dans une réalité antérieure et plus véritablement constitutive.

Voici dès lors quel est l’aspect que prennent les choses sous le regard de la pensée. L’unité du monde, c’est-à-dire, la connexion de tous les phénomènes de l’univers entre eux, implique expressément ainsi que Leibniz l’a reconnu lui-même en maint endroit de ses écrits, une division infinie actuelle de la matière. Donc il est inutile de chercher au sein de la matière une masse quelconque possédant t un mouvement d’une amplitude quelconque. Tout ce que la pensée aperçoit dans cette dissolution infinie des choses, ce sont des agglomérations de parties qui s’évanouissent au moment même où elles se constituent, sans être demeurées cohérentes avec elles-mêmes le