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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/242

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somnambules, cela était indifférent, que, peut-être même, dans le second cas, on obtenait un automatisme plus complet), voici ce qui arrive :

Selon la nature de l’acte dont l’impossibilité a été suggérée, il se produit, dans le cerveau du sujet, ou une amnésie, ou une hallucination négative, parfois même, l’un et l’autre de ces phénomènes.

Lui dit-on : « Vous compterez bien jusqu’à deux, mais vous ne pourrez aller jusqu’à trois ! » c’est comme si l’on disait : « Vous oublierez le nombre trois ! » Lui suggère-t-on qu’il pourra additionner la colonne des unités de trois nombres différents, mais qu’il ne pourra faire davantage, c’est comme si l’on faisait cette suggestion : « Vous ne saurez plus quel total forment les chiffres des dizaines et des centaines ! » C’est encore une amnésie partielle.

Que si l’on dit : « Vous ne pourrez plus trouver les manches de ce vêtement, que vous avez ôté ; vous essayerez vainement de mettre ce gant, de tourner le bouton de cette porte », etc., alors il se produit une hallucination négative. Le sujet ne voit plus les manches du vêtement, qu’il tourne et retourne avec impatience ; il ne voit plus l’ouverture des gants, qui lui semblent n’en avoir aucune, ni le bouton de la porte, qui, pour lui, a disparu. Mais, ce qui est bien singulier, c’est qu’un mot, un geste de l’expérimentateur, pourvu bien entendu qu’il soit compris, fait disparaître cette incapacité, qui coïncidait avec toutes les apparences extérieures d’une personne parfaitement éveillée, en pleine possession de toutes ses facultés. De plus, une fois qu’on aura prononcé les paroles propres à effacer la suggestion, — l’impossibilité de faire telle ou telle chose, — le sujet répondra invariablement à cette question : « Pourquoi, tout à l’heure, ne pouviez-vous faire ceci ou cela ? » — « Moi, je l’ai toujours pu. » Combien de fois ne m’a-t-on pas fait cette réponse !

III

Pour les suggestions d’une certaine gravité, par exemple la suggestion d’actes délictueux ou criminels, les choses se passent différemment.

À l’état normal, chez une personne raisonnable, quand surgit une idée mauvaise, elle rencontre aussitôt, pour lui faire contrepoids, pour la combattre ou la réprimer, toutes les idées saines que la religion, la morale, le devoir ou même l’intérêt bien entendu inspirent à presque tous les hommes. Le sentiment de la dignité personnelle, l’honneur, le souci de la considération, la crainte de la honte ou du