Aller au contenu

Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
j. liégeois. — hypnotisme et criminalité

contre le malheureux de La Roncière, la terrible accusation qui devait entraîner sa condamnation.

Je laisse en ce moment de côté, pour abréger, toutes les impossibilités qu’on essaya de relever contre le système adopté par le ministère public et soutenu par Berryer et Odilon Barrot, avocats de la partie civile. Je les ai, je le répète, déjà signalées ailleurs.

Ce qui entraîna la conviction du jury, malgré les obscurités qui subsistaient encore et que personne ne parvint à dissiper, ce fut un argument redoutable présenté sous forme de dilemme, et dont on accabla l’accusé. Le défenseur de ce dernier, Chaix d’Est-Ange, avec une éloquence admirable, avec une prescience vraiment extraordinaire chez un jurisconsulte, alors que les plus illustres médecins se fourvoyaient complètement, entrevit bien le rôle qu’avaient dû jouer, dans l’affaire, les phénomènes hallucinatoires que présentait Mlle de X… ; malheureusement, il fut dans l’impossibilité d’en donner une démonstration convaincante. En 1835, on ignorait les caractères de l’hystérie ; on ne connaissait pas les faits de condition seconde, de vie inconsciente qu’ont mis en lumière les recherches les plus récentes et surtout les travaux de l’École de Nancy. La Roncière fut donc condamné.

Et pourtant, si nous nous reportons au compte rendu des débats, publié d’après le Moniteur et la Gazette des tribunaux[1], qu’y trouvons-nous ? Bien des constatations qui devaient inspirer aux jurés de la Seine, au moins un doute, non sur la sincérité — elle n’a jamais fait question — mais sur l’exactitude des accusations portées contre le malheureux officier.

Ainsi, après l’attentat dont elle prétend avoir été victime, Mlle de X… est en proie à des attaques nerveuses, qui se prolongent pendant dix-huit heures sur vingt-quatre, et qui échappent à tout soupçon de simulation. Cet état, sans exemple, leur a paru (aux médecins qui l’ont examinée) provenir d’une cause morale très intense ( ?) et se composer à la fois de somnambulisme, de catalepsie et d’extase (p. 23). Le 24, au matin, elle est dans un état de stupeur qui ne lui permet de rien raconter à son père (p. 63).

Dans sa déposition devant la Cour, elle dit que, le jour du crime, « elle a vu la Roncière s’approcher de la fenêtre, mais sans distinguer comment il est sorti » (p. 76). Or c’est bien ainsi que s’évanouirait une hallucination.

Le Dr Bécœur, médecin de l’école de Saumur, constate que, avant

  1. Procès du sieur Émile de la Roncière, Strasbourg, 1835, 1 vol.  in-8o, imprimé chez Dannbach. La Bibliothèque nationale en possède un exemplaire, que nous avons pu consulter, lors du procès Eyraud-Bompard.