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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/286

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C’est cependant ce siècle d’esprit si peu scolastique qui nous a ramenés à l’étude impartiale du moyen âge. Et c’est grâce à une théorie d’origine cartésienne que l’histoire lui est apparue comme une mine féconde en résultats qui ne sont pas à dédaigner pour l’accroissement du savoir positif. Croire avec Descartes et Pascal, avec Perrault et La Motte, Fontenelle et Terrasson, que l’homme augmente, à travers les âges, sa capacité intellectuelle, morale, esthétique, voire même physique, n’est-ce pas implicitement reconnaître, sinon affirmer, que toute époque, toute génération même a accru l’héritage qui lui vient du passé et, partant, peut devenir un des chaînons indicateurs de progrès futurs ?

En Sorbonne, Turgot célèbre les avantages qu’a valus à la société l’avènement du christianisme. Dans la rue Servandoni, où il se cache pendant la Terreur, Condorcet, peu suspect de partialité pour tout ce qui touche au christianisme, rend pleine justice aux scolastique[1].

Puis de Gérando, éclectique comme Leibniz, partisan de la doctrine de la perfectibilité comme Condorcet, ne se borne plus à rendre justice aux scolastiques : il relève et discute les assertions aussi inexactes que dédaigneuses de Condillac. Daunou, dans les articles de la Biographie universelle, comme dans l’Histoire littéraire, écrit avec une impartialité qui surprend chez un disciple du xviiie siècle, une histoire de la scolastique au xiie et au xiiie siècle.

Les adversaires de la philosophie du xviiie siècle ne s’en tinrent pas à l’impartialité, ils manifestèrent pour le moyen âge tout entier l’admiration la plus vive. Les poètes, les romanciers, les artistes célébraient les abbayes, les cathédrales aux peintures naïves, aux sculptures gracieuses, terribles ou grotesques. Les philosophes se cherchèrent des devanciers parmi les scolastiques : Roscelin était comparé à Locke et à Condillac ; Abélard, à Descartes. On étudia quelquefois la scolastique, comme toute l’histoire de la philosophie, avec la préoccupation trop marquée de montrer que les recherches des penseurs devaient aboutir à un spiritualisme éclectique. On tint trop peu de compte aussi des emprunts directs ou indirects que le moyen âge a faits à l’antiquité grecque et latine. Toutefois de nombreux et importants travaux[2] paru-

  1. Condorcet, Esquisse des progrès de l’esprit humain, 7me époque. — « La scolastique ne conduisait pas à la découverte de la vérité… mais elle aiguisait les esprits : et ce goût des distinctions subtiles, cette nécessité de diviser sans cesse les idées, d’en saisir les nuances fugitives, de les représenter par des mots nouveaux, tout cet appareil employé pour embarrasser un ennemi dans la dispute, ou pour échapper à ses pièges, fut la première origine de cette analyse philosophique qui a été depuis la source féconde de nos progrès. »
  2. Rappelons les plus importants : Rousselot, Études sur la philosophie en France dans le moyen âge, 3 vol.  ; Saint-René Taillandier, Scot Érigène et la Philosophie scolastique ; A. Jourdain, Recherches critiques sur l’âge et l’origine des traductions latines d’Aristote ; Ch. Thurot, De l’organisation de l’enseignement dans l’Université de Paris au moyen âge ; Olleris, Œuvres de Gerbert ; Cousin, Introduction aux œuvres inédites d’Abelard et Œuvres d’Abélard ; Michaud, G. de Champeaux ; Ch. de Rémusat, Anselme de Cantorbéry, 1 vol.  Abelard,