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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/306

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voit en saint Augustin que le platonicien et non l’admirateur de Plotin, quand il revendique pour le platonisme, que personne comme il le dit lui-même ne connaissait au moyen âge, des penseurs qui relèvent, directement ou indirectement, du néo-platonisme. On peut soutenir que la philosophie catholique avait intérêt, après s’être approprié les vues élevées et religieuses de Platon, à s’enrichir des observations plus précises, des analyses plus pénétrantes, des démonstrations plus méthodiques de son disciple. Mais comment auraît-on pu rattacher au christianisme, Plotin et ses disciples, anciens ou modernes, qui en ont été les plus redoutables adversaires ?

Dans une Histoire[1] qui est bien plutôt une apologie, M. Ragey a voulu montrer en saint Anselme un docteur de l’Église, un réformateur et un propagateur de la vie monastique au xie siècle, un grand directeur des âmes, un des plus ardents propagateurs de la dévotion à la Vierge, un des plus intrépides défenseurs des droits de l’Église et du Saint-Siège, un des plus grands professeurs qui aient jamais existé. Il estime peu le « gué du cartésianisme », en homme qui veut entrer « dans les eaux profondes de la scolastique ». Il fait même bon marché des prédécesseurs et des contemporains de saint Anselme, surtout d’Abélard qui a contribué dans une si grande mesure à la constitution de la scolastique proprement dite. Mais il n’oublie pas saint Thomas qui a porté à son plus haut degré de perfection la méthode créée par saint Anselme. De même aussi M. Pluzanski[2] voit avec plaisir le clergé catholique revenir à la scolastique et se rattacher avant tout à saint Thomas. En étudiant Duns Scot, il a surtout eu pour objet d’établir que sa philosophie est plus sage et moins originale que ne le pense M. Hauréau ; que, réformant et ne détruisant pas, quoi qu’en ait dit Ueberweg, elle propose des corrections souvent fort heureuses aux doctrines de saint Thomas, de Henri de Gand et des autres docteurs. Selon M. Pluzanski, la doctrine de Scot diffère peu sur la volonté et le libre arbitre de la théorie commune à l’école ; sur le péché, elle est la même que celle de saint Thomas ; sur l’origine de nos connaissances, il y a accord complet entre Scot, saint Thomas et saint Bonaventure ; d’une façon absolue, on ne saurait opposer le volontarisme de Scot à l’intellectualisme de saint Thomas. Avec M. Pluzanski, Scot devient orthodoxe et perd son originalité. M. Vacant ne lui laisse même plus l’orthodoxie[3]. Saint Thomas, dit-il, admet et explique toutes les propriétés de nos facultés et toutes les opérations mentales que le docteur subtil lui reprochait de méconnaître. Avant Scot il a affirmé tout ce que ce dernier enseigne d’exact sur les rapports de l’objet et du sujet ; plus que lui il a approfondi la question en expliquant comment l’objet informe le sujet de la connaissance. Aussi la doctrine de Duns Scot,

  1. 2 vol.  in-8o, chez Delhomme.
  2. Essai sur la philosophie de Duns Scot ; Paris, Thorin, 1887, in-8o.
  3. La théorie de la connaissance selon saint Thomas et selon Duns Scot (Annales de philosophie chrétienne, 1889).