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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/323

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ANALYSES.f. rauh. Métaphysique de la morale.

dans l’ordre moral ce que sont les postulats dans l’ordre de la connaissance.

Sous ces diverses formes et malgré ces perfectionnements, le naturalisme ne peut se sauver d’une objection essentielle : s’il établit à bon droit la supériorité du sentiment et de la vie sur l’intelligence, s’il reconnaît justement dans la nature des traces et comme des intentions de moralité, il ne fait que poser ses conclusions sans les justifier. Pour prouver que la vie morale est dans le sens de l’être il faut autre chose que les indications ambiguës de l’expérience, — il faut pouvoir rattacher ce qui est à ce qui doit être et fonder le droit comme le fait nécessaire et éternel qui explique les faits contingents et temporels : le physique ne peut être nommé, à plus forte raison moralement qualifié, que s’il participe d’un ordre idéal qui lui confère son existence et sa dignité. Au point de vue de la nature on ne saurait dire que la liberté vaut mieux que la nécessité, l’union que la lutte et la générosité que l’égoïsme. L’idéal que MM. Fouillée, Guyau et Wundt superposent à l’interprétation de la réalité n’est pas justifié, même à titre d’idéal ; il est objet de foi, d’espérance ou de rêve, quand il n’est pas seulement la traduction éloquente, poétique, ou positive de ce qui semble donné dans la conscience actuelle. — Il n’y a de moralité que s’il y a une raison ; pour sauver la part de vérité morale qu’il renferme, le naturalisme doit chercher ses preuves dans un système rationnel, plus ou moins analogue au spinozisme.

II. L’intellectualisme. — Passer du naturalisme à l’intellectualisme, ce n’est pas substituer à l’expérience du concret une explication abstraite : l’intellectualisme bien compris est une doctrine de la réalité et de la vie. M. Rauh va même plus loin : l’intellectualisme, rigoureusement développé, est obligé de marquer des limites à la connaissance proprement dite et d’arrêter l’intelligence devant l’infinité incompréhensible de l’Être. Et voilà bien l’intérêt de cette subtile et profonde interprétation : ce sont les mêmes raisons qui, selon M. Rauh, forcent l’intellectualisme à tenter une déduction de la réalité et à reconnaître l’insuffisance de cette déduction.

Le principe de l’intellectualisme, c’est que le fait n’est pas par lui-même le droit, c’est que la vérité consiste, non dans les choses données, mais dans l’ordre éternel qui les explique et qui les fonde. L’affirmation de cet ordre éternel est enveloppé dans toute pensée. Nous ne pouvons juger de ce qui est que par ce qui doit être ; et la possibilité idéale de l’existence précède logiquement, en même temps qu’elle la détermine, l’existence effective. Et l’être idéal qui mesure l’être réel n’est point une chose, mais, suivant la formule de M. Lachelier, la vérité a priori de toutes choses. Ainsi, puisque les choses sont en raison de leur vérité, il faut admettre que la vérité absolue, s’il y en a une, implique une absolue réalité : or, comment refuser de reconnaître une vérité absolue ? Tout ordre d’intelligibilité s’évanouirait, si les rapports des