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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/331

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ANALYSES.f. rauh. Métaphysique de la morale.

infirmer ce qu’on a voulu établir, puisque l’infini du réel est irréductible à la notion, — c’est ensuite se contredire, parce que l’Absolu est par définition ce qui ne suppose rien d’antérieur et que la notion est un objet posé devant la pensée, relatif par suite à cette pensée. Ce qui est pensé est toujours postérieur et dérivé ; ce qui est vraiment premier, c’est le « Je pense ». Si je connaissais l’Absolu, il ne serait pas ; mais du moment qu’il est, il ne peut être que l’acte par lequel je le pose ; et comme cet acte se produit lui-même dans une existence concrète, on peut dire que les puissances vivantes de l’Être, comme le désir, le sentiment, le traduisent plus complètement que les formes abstraites de l’entendement réfléchi. L’Absolu est donc le moi, non pas en tant qu’il connaît rationnellement le donné, mais en tant qu’il doit, selon la loi morale, se constituer une vie raisonnable.

Inversement le moi est l’absolu. Le moi existe, c’est là un fait, — et un fait incontestablement établi par la conscience, à ce que disent les spiritualistes de l’école de Cousin ; nous percevons, suivant eux, une unité de substance qui enveloppe et soutient en nous les phénomènes psychologiques. Mais un fait empirique, fût-il interne, ne saurait de lui-même réclamer le nom et justifier la qualité de l’Être : il n’y a que la raison qui prononce l’existence. D’ailleurs, si je perçois ma substance comme une vérité, comment se fait-il que je ne puisse pas expliquer par elle tout ce qui se passe en moi ? — Soit, dira-t-on, le moi n’est pas analogue à la notion qui explique les propriétés qu’elle engendre : il est analogue à la fin qui explique les moyens par lesquels elle se réalise. — Cependant le rapport des phénomènes au moi n’est pas encore, sous cette forme, immédiatement intelligible, et nous avons toujours à craindre que cette unité de fin ne soit le produit d’une inconsciente nécessité ; au surplus, une fin n’a rien d’absolu et peut être subordonnée à d’autres fins : du point de vue de la nature comment fixer les individualités ? Enfin l’idée de substance, appliquée au moi, le détruit en son essence propre : dire que le moi est une substance, c’est dire que le moi a le même genre de réalité que les choses : comment le défendra-t-on contre le mécanisme universel ? Il faut donc admettre que le moi est Raison pour être vrai, et alors l’unité que l’on attribue au moi change complètement de caractère. Ce n’est plus l’unité d’un être qui se développe naturellement comme une force, c’est l’unité idéale d’un moi pur qui se réalise pratiquement, c’est cette union obligatoire de l’intelligible et du sensible que Kant avait justement admise comme type de vérité, mais qu’il n’avait pas osé élever à l’Absolu. Ainsi la nécessité première ne peut être que si nous sommes nous-mêmes cette nécessité, et nous ne pouvons être cette nécessité que si nous la choisissons par un acte absolument personnel ; de telle sorte que la nécessité spéculative finit par se transformer et se résoudre en liberté pratique.

Du moment que l’acte moral est dans le sens de l’être, l’affirmation de Dieu, impliquée dans cet acte, devient légitime. Mais comment est-