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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/350

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considérations. Il soutient une linguistique, véritable science, où on doit étudier tous les idiomes depuis les plus sauvages jusqu’aux plus développés, et surtout les plus sauvages ; où on doit tenir compte de tous les faits fournis par la psychologie animale, infantile, et non seulement des faits donnés par une psychologie des hommes civilisés. II prend parti de Max Müller et il désire baser son étude sur des considérations psychologiques comme celles de Preyer, Perez, Wundt, Romanes tout en admettant les conclusions linguistiques de Raoul de la Grasserie, Steinthal, etc. Il tient aussi à faire ressortir non seulement le caractère d’un organisme naturel du langage, mais aussi son caractère sociologique.

Le langage n’est pas régi par des lois artificielles, comme celles des logiciens ; il a son évolution naturelle ; mais il y a une si grande intimité entre ses lois, qu’on peut les considérer comme sociologiques et les autres lois sociologiques. L’auteur soutient l’opinion de Steinthal que la relation supposée entre la logique et la grammaire est fausse, parce que le langage jugé d’après la logique nous montre ou des lacunes, ou des choses superflues, ou des divergences, ou des contradictions. Dans cet ordre d’idées, en faisant l’historique de la question, il montre l’insuffisance des études linguistiques des Grecs qui ne daignaient s’occuper que de la langue grecque. Le grand rapprochement entre la logique et la grammaire est fait par Aristote. Ce rapprochement devient une quasi-identification chez les stoïciens. Ils prennent la logique comme critérium du langage. Après vient le grammairien alexandrin Apollonios, qui considère les principes de sa langue maternelle comme universelles. L’auteur cite encore comme plus récentes les théories de Godfried Hermann, Lassen, etc. C’est Fr. Müller qui, laissant de côté les traditionnelles considérations unilatérales, donne à ses études linguistiques une base plus large, l’étude de toutes les langues et des considérations objectives. Citons parmi ceux qui ont tâché d’enrichir de ce côté la science Winkler, Raoul de la Grasserie et surtout Steinthal, auquel revient le mérite d’avoir bien marqué les véritables limites entre la grammaire et la logique.

En parlant de la fameuse dispute entre les analogistes et les anomalistes, qui préoccupa tant les grammairiens grecs et romains, l’auteur montre combien était chimérique le prétendu accord entre l’expression linguistique et le rapport logique du mot, les noms des différents objets dans toutes les langues étant des perceptions et non des aperceptions. Le langage n’est jamais l’expression adéquate de la pensée, le nom n’exprime qu’une seule qualité de l’objet et les autres qualités que l’esprit conçoit quand on prononce le nom, sont le résultat de l’association des idées. Le langage est un phénomène psychologique qui varie d’un peuple à un autre, il doit être étudié dans les multiples formes de la réalité, non d’après un type général. La psychologie, qui explique l’évolution réelle de la pensée, doit être le fondement de la grammaire, non la logique qui cherche à lui prescrire des lois.

D. N. Comsa.