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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/454

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dire que cette voyelle et les mots qui la contiennent lui rappellent la couleur rouge, lui en donnent l’idée. Un autre sujet, dont l’observation a été publiée, disait semblablement : « Quand je vois telle lettre, les choses se passent comme si on prononçait devant moi le mot « rouge ». Telle est bien l’impression subjective éprouvée par M. X… ; il trouve qu’il y a un accord, une harmonie, quelque chose comme un rapport logique, entre la voyelle a et la couleur rouge. Pour bien exprimer sa pensée, M. X… se sert d’exemples qui sont à noter. « Ainsi, dit-il, si dans un texte j’avais à souligner un mot contenant un a, comme bataille, micrographe, bactérie, etc., je le soulignerais volontiers au crayon rouge, et je trouverais que c’est la couleur qu’il convient d’employer. Si j’avais à souligner un mot ne contenant pas cette voyelle, je ferais usage d’une autre couleur. Autre exemple. Je suis marin, pendant mes loisirs d’été, et j’ai un bateau ; je trouve très naturelle et très logique la convention de mettre un feu rouge à bâbord, parce qu’il y a un a dans le mot bâbord ; comme cette lettre ne se retrouve pas dans le mot tribord, je trouve aussi très naturel d’y mettre un feu vert. Au contraire, le mot feu me paraît mal fait, car le feu est rouge et il n’y a pas d’a dans ce mot. Enfin, dernier exemple, si je fais une figure schématique de la circulation, je serai disposé à représenter les artères en rouge, beaucoup plus à cause de la voyelle a contenue dans le mot artère qu’à cause de la couleur du sang qui circule dans ces vaisseaux. » Nous traçons devant M. X… un grand A au crayon bleu ; il trouve que cette association de couleur avec la lettre A est choquante, mais il n’éprouve pas pour cela d’impression pénible. En tout cas, la vue d’un A figuré au crayon bleu ne l’empêche pas d’associer à cette lettre une coloration rouge.

M. X… qui analyse très bien son cas, nous assure, sur notre demande, que lorsqu’il pense à la lettre a il ne se la représente pas en rouge ; il ne la voit pas davantage sur un fond rouge ; il dit qu’il y a seulement une association entre la représentation, la vision ou l’audition de cette lettre et l’idée du rouge ; il en est de même, mais moins nettement, pour les autres voyelles.

En somme ce qui concerne les couleurs et les nuances produites par l’audition est fort simple et peu intéressant ; M. X… ne possède pas, comme le sujet que nous allons étudier bientôt, une longue série de couleurs complexes. Mais la qualité des couleurs suggérées par les sons a peu d’importance, à notre avis, et ce n’est pas avec des tableaux de couleur qu’on parviendra à expliquer l’audition colorée. Ce qui nous paraît être beaucoup plus significatif, c’est d’abord ce fait que l’impression de couleur, l’idée de couleur ne se produit chez M. X… qu’à la suite d’une excitation toute spéciale, comme l’excitation visuelle ou auditive de la lettre a. Nous ignorons si la vision de la lettre a agit directement, ou bien si son action est indirecte, et se fait par le rappel de l’image auditive. M. X…, après