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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/461

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travaux du laboratoire de psychologie physiologique

Voici en outre quelques autres détails qui nous ont été communiqués par Mlle R…, et qu’on retrouve dans plusieurs autres observations. Les mots ont une coloration qui résulte de la nature des lettres composantes ; seulement la coloration de certaines lettres, principalement des consonnes, s’efface devant celle des voyelles. Ainsi, le mot ALBA présente deux lettres très blanches (les deux a) sur un fond clair qui empiète un peu sur la coloration des consonnes, et les éclaircit. La couleur rouge de l’i s’étend également aux lettres voisines, et dans le mot SAINTE, la lettre n, qui est généralement grise, se colore en rouge à cause de son voisinage avec l’i. Même fait a été observé par MM. Lauret et Duchaussoy. Ainsi, chaque mot se distingue des autres par un ensemble de colorations qui sont principalement dues aux voyelles. Dieppe est rouge et gris rouge est rouge noir très foncé ; parole est blanc et rouge foncé, etc.

Examinons les conditions dans lesquelles se manifeste l’audition colorée. Mlle R… a l’idée de lettres colorées dans deux cas bien distincts quand elle lit, et quand elle écoute quelqu’un qui parle. C’est ce que nous avons observé chez M. X…, c’est aussi ce qu’on a observé chez presque tous les sujets. Dans la lecture, les grandes lettres donnent des colorations plus vives que les petites, et le texte imprimé a aussi plus d’effet que les lettres cursives. Quand elle lit, elle pense à des lettres colorées ; elle ne voit pas à proprement parler de couleurs sur son livre. Cependant le soir, à la lumière de la lampe, elle voit parfois sur le papier les couleurs des lettres, mais très faiblement. Dans l’audition, les phénomènes de couleur augmentent beaucoup ; un mot entendu donne une impression de couleur bien plus nette qu’un mot simplement lu. C’est une observation que Mlle R… a faite spontanément. Dans une courte note qu’elle a rédigée à ce sujet, j’extrais le passage suivant : « Plus je m’interroge, plus je regarde au dedans de moi-même, plus je reconnais que cette chose est produite par le son de la voix. » Cette impression est si nette que lorsqu’elle écoute une conversation peu intéressante, elle s’occupe davantage de la couleur des mots que de leur signification. Ainsi, quand on prononce le mot Waterloo, elle voit d’abord du blanc, du gris et du rouge foncé ce n’est qu’après qu’elle pense au sens du mot.

Le timbre de la voix exerce aussi une influence sur la qualité de la couleur. Quand Mlle R… entend la lettre i prononcée par une voix grave, i lui paraît rouge plus foncé que s’il était prononcé par une voix aiguë ; de même pour a, e, o, u. D’une façon générale, les voix d’homme donnent des couleurs foncées, et les voix de femme donnent des couleurs claires, cette particularité a déjà été relevée par d’autres observateurs. D’après Pedrono, à des notes élevées peuvent correspondre des couleurs claires, et à des notes basses des couleurs sombres. Cette influence explique probablement en partie pourquoi les sujets ne désignent pas la nuance des couleurs avec précision et cons-