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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/510

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emprisonnés, la responsabilité de celle-ci est singulièrement aggravée par ce fait qu’elle est un organisme bien plus complexe et bien plus puissant. Tant que la société continuera à appliquer systématiquement des peines qui pervertissent ceux qui en sont frappés, elle sera, à ce point de vue, responsable de leur perversion.

Elle est encore responsable à plusieurs égards pour le même individu. La nature de l’individu entre comme facteur dans le résultat final ; un homme, à qui l’on imposera la compagnie de voleurs de profession, se pervertira par leur influence, mais aussi par l’effet de sa nature propre. Il y a ici une combinaison de deux facteurs. Certains de ses sentiments s’atrophieront, d’autres se développeront au contraire et pourront s’associer des éléments psychiques qui restaient jusqu’ici en dehors de leur influence, mais sa nature première joue un certain rôle dans ce processus, généralement elle est apte à subir l’influence pervertissante, elle est déjà pervertie, mauvaise à quelque degré. Cette nature d’où l’homme la tient-il ? de l’hérédité et de l’éducation, deux choses pour lesquelles la société est encore largement responsable, par ses mœurs, par ses lois, par tous les engrenages de la vie sociale qui ont pris l’homme et toute la série de ses ancêtres et lui ont imposé les conditions d’existence, de mariage, d’éducation, etc., qui, peu à peu, ont façonné la race. Où que nous regardions quand nous recherchons les causes d’un crime ou d’une bonne action, les influences qui font le criminel ou l’homme de bien, partout nous apercevons la société, les divers groupements d’hommes, les diverses conditions sociales qui d’un côté préparent l’occasion du crime et de la vertu, de l’accomplissement du devoir ou de la violation du devoir, et de l’autre suscite et développe dans l’individu les sentiments qui feront de lui un meurtrier, un voleur, ou un honnête homme. Pour tout ce qui découle logiquement de sa nature, de son caractère, de son organisation, il n’y a pas de doute, la société est responsable.

Elle ne l’est pas seule ; l’individu l’est aussi. Sans doute il ne s’est pas fait lui-même ou il ne s’est fait lui-même qu’en un sens et jusqu’à un certain point, mais la société aussi a subi des influences (physiques, sociales ou individuelles) qui l’ont façonnée et l’ont rendue ce qu’elle est. Après avoir subi des influences, elle en a exercé, elle n’est pas responsable de ce qu’elle a subi, elle est responsable de ce qu’elle a fait. Il en est de même pour l’individu. Sans doute, il n’est pas responsable du système social vicieux qui le pervertit, mais une fois perverti, il est responsable de sa perversion, comme il est responsable de son amélioration s’il est devenu plus moral, bien que ceci contredise des idées fort répandues.